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Le mimétisme d’élites coupées des réalités

EST-CE BIEN RAISONNABLE?

«Coronavirus: l’Afrique, prochaine victime du fléau», titrait il y a peu un hebdomadaire français. «P…, mais foutez-nous la paix», a aussitôt twitté Mamane, le bien connu humoriste qui pilote le «Parlement du rire» sur Canal+ Afrique et anime une chronique quotidienne sur Radio France internationale (RFI). Ce coup de gueule – et il n’est pas le seul – illustre une certaine exaspération: l’Europe est dévastée par le coronavirus, mais c’est l’Afrique qui draine les analyses et les qualificatifs les plus apocalyptiques.

Cela ne veut pas dire que le virus n’est pas pris au sérieux sur le continent africain. Il l’est tout autant qu’ailleurs, quoiqu’avec peut-être davantage de sang-froid, de recul et d’humour qu’en Europe, tant les catastrophes, qu’elles soient politiques, économiques, sanitaires, y sont plus fréquentes. «En Côte d’Ivoire, avec les différents coups d’Etat, les patriotes, les rebelles, les couvre-feux, les rumeurs, les élections et Ebola… on a l’habitude du danger», commente sur Facebook, Dominique Tako, à Abidjan. D’où la nécessité, selon elle, de prendre un peu de hauteur pour se protéger. Depuis l’annonce de l’arrivée imminente du coronavirus, les réflexes acquis durant la crise de la fièvre hémorragique Ebola en Afrique de l’Ouest ont aussitôt resurgi. Masques et gel désinfectant, contrôles avec thermomètre frontal ont ainsi été disponibles bien plus rapidement qu’en Europe.

Dans ce contexte où les gens, sur le continent africain, font preuve de beaucoup de courage et de créativité pour affronter cette nouvelle calamité, les propos de Jean-Paul Mira, un des médecins-chefs de l’hôpital Cochin à Paris ont été perçus comme une insulte raciste qu’on pensait d’un autre temps. Il faut dire qu’il a fait fort, en proposant de faire des tests pour le futur vaccin sur le coronavirus «en Afrique, où il n’y a pas de masques, pas de traitements, pas de réanimation», avant d’ajouter: «un peu comme c’est fait d’ailleurs pour certaines études sur le sida: chez les prostituées, on essaye des choses parce qu’on sait qu’elles sont hautement exposées et qu’elles ne se protègent pas». Tollé général et levée de boucliers de nombreuses voix qui portent sur le continent, lassées par tant de poncifs insultants diffusés par une des chaînes d’info en continu françaises, très suivies en Afrique francophone.

A tel point, d’ailleurs, que les gens ont parfois l’impression que la pandémie du coronavirus et les mesures prises pour la contenir sont des copier-coller de ce qui se fait en France. «Par influence et mimétisme, la psychose évolue en Côte d’Ivoire au rythme de la situation liée au coronavirus là-bas», déplore la journaliste Amy Touré sur le site d’information Koaci.com. Elle n’est pas la seule à regretter ce mimétisme qui, dirait-on, empêche les décideurs politiques d’imaginer des solutions plus adaptées à la réalité. Comment en effet confiner une population dont l’écrasante majorité tire ses revenus du secteur informel, qui gagne dans la journée les quelques francs CFA qui permettront à la famille de manger le soir? «Comment peut-on demander aux personnes qui n’ont pas accès à l’eau de se laver les mains ou de porter un masque qui coûte cher en pharmacie?» renchérit un journaliste d’un grand quotidien d’Abidjan, qui préfère conserver l’anonymat.

La gestion de la crise liée au coronavirus lui rappelle les débuts du sida en Afrique, où, à force d’entendre les messages de prévention venus d’Europe, répétés sans être adaptés au contexte local, le commun des gens ne se sentaient pas concernés par le VIH, n’étant ni homosexuels ni consommateurs de drogues. «C’est le fait d’une élite politique et économique totalement déconnectée de la réalité vécue par la majorité de ses concitoyens», estime-t-il encore, tout en espérant que le fait qu’en raison de la fermeture des frontières, ses représentants ne puissent plus aller se faire soigner en France ou ailleurs, comme ils en ont l’habitude, leur fera prendre conscience, enfin, de l’état dans lequel se trouve le système sanitaire et hospitalier de leur propre pays.

Notre chroniqueuse est journaliste.

Opinions Chroniques Catherine Morand

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lundi 8 janvier 2018

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