Trop de vacanciers au sud des Alpes
On le surnomme les Maldives du Tessin. C’est dire la beauté du Val Verzasca et de la rivière éponyme aux eaux turquoise et transparentes qui le traverse. A cette époque de l’année, en temps normal, la région est sur le point d’accueillir des masses de vacanciers, d’Italie et du reste de la Suisse. Pour l’instant, malgré le ciel bleu pétant et la température frôlant les 15 degrés Celsius, la vallée demeure calme, voire désertique.
A Lavertezzo, fameux pour son pont romain et ses grandes pierres plates, on aperçoit seulement un couple qui se prend en photo, au loin, perché sur une roche difficile d’accès. Un peu plus bas, à Gordemo, un habitant fait valoir que même si les rues sont vides, il y a déjà pas mal de plaques d’immatriculation suisses alémaniques dans le village, la moitié des maisons ici étant de vacances.
Filtrage par la police
Cela en dépit de l’injonction des autorités tessinoises et fédérales faites aux Suisses de rester chez eux, afin d’éviter un «exode pascal» risquant de surcharger les structures sanitaires locales, déjà sous pression. «Les propriétaires expliquent qu’ils ont l’habitude de passer Pâques au Tessin et que ce n’est pas défendu de venir», poursuit le Verzascais. Selon la météo des prochains jours – soleil annoncé – ils continueront sûrement d’arriver, prévoit-il.
Depuis sa terrasse, à 500 mètres d’altitude, il a noté ces jours qu’à la sortie de l’autoroute, un bloc policier filtrait le trafic, laissant monter uniquement les résidents de la vallée. «Non seulement les touristes, mais aussi les Tessinois qui ont des résidences secondaires en montagne ont pris d’assaut les petits villages, au grand dam des habitants», fait-il savoir.
Constatant que dans plusieurs vallées, les vacanciers suisses étaient nombreux, le commandant de la police tessinoise, Matteo Cocchi, a annoncé que d’autres contrôles seront effectués pour enjoindre les touristes du nord des Alpes de rentrer à la maison. Déjà ces dernières semaines, à travers des communiqués publiés dans la presse, plusieurs petites communes de montagne imploraient les Suisses de rester chez eux.
Dans les vallées italophones des Grisons, des villageois inquiets ont écrit à Coire se plaignant de la présence «de nombreuses familles qui exercent une pression supplémentaire sur les activités essentielles – de la fourniture des produits de première nécessité à l’assistance médicale – déjà mises à rude épreuve». Au sud du canton, les maires de la région de Malcantone ont réclamé des autorités de couper l’accès au Tessin pour les voyageurs via les tunnels du Gothard et du San Bernardino.
Un des instigateurs de cette requête inusuelle, Giovanni Cossi, maire de Vernate, souligne que dans sa commune, les résidences secondaires représentent 30% des habitations. «Ces derniers jours, des familles suisses sont arrivées. D’une part, ces gens ne s’annoncent pas, comme l’impose le canton, et de surcroît, la plupart sont âgés.» Cela représente un double risque, soutient-il. «Ils peuvent contracter le Covid-19 et devoir être hospitalisés ici, alors que nos hôpitaux sont pleins, ou encore, le ramener chez eux.»
Les roulottes refoulées
L’idée de bloquer les tunnels n’a pas été retenue, mais un dispositif de contrôle a été mis en place à l’entrée du Gothard par les polices du Tessin, des Grisons et d’Uri pour refouler les roulottes, explique Giovanni Cossi. «Mais celui qui a une maison de vacances ici ne vient pas pour camper!»
L’appel du Tessin – où hier matin on recensait 177 décès et 2508 personnes infectées au Covid-19 depuis le 25 février – demandant aux Suisses de rester au nord des Alpes à Pâques sera-t-il entendu? Directeur de l’Agence touristique tessinoise (ATT), Angelo Trotta ne le sait pas. «Nous rappelons aux touristes et aux propriétaires de maisons secondaires qu’il n’est pas interdit de venir au Tessin, mais que nous le déconseillons. Aussi parce que les bars et restaurants sont fermés, aucun événement n’est en cours et la population sort très peu», indique-t-il.
Avec les hôteliers, l’ATT a lancé une campagne intitulée No cancellations, dont l’objectif est d’éviter les annulations, en reportant les vacances des clients. «A l’heure actuelle, il est encore tôt pour estimer les pertes économiques pour notre secteur, parmi les plus affectés, vu que nous ne savons pas combien de temps durera cet état d’urgence.» Mais lorsque la tempête sera passée, le tourisme tessinois misera sur le marché national, avance-t-il. «Les gens ne seront pas prêts à voyager sur de longues distances.»