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Ni bien, ni mal! La vie, sans foi ni loi

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Quand, à court d’argument, un politique, un religieux ou un simple citoyen veut imposer une idée, le recours à des slogans tels que «c’est la loi de la Nature», «de la Vie», «de Dieu» ou «de la Société» supplée souvent l’incapacité à prouver. C’est le «il n’y a pas d’alternative» de Macron et de son idole Margaret Thatcher, aussi puéril que le «c’est comme ça! Parce que, et pas autrement!» d’un parent énervé. On remarquera la tendance, dans ces expressions, à mettre des majuscules à la nature, à la vie et au dieu dont certains font l’autorité suprême, même s’il en existe tant de variantes incompatibles… Un moyen, bien sûr, d’en exprimer la dominance arbitraire!

Champion de l’exercice totalitaire, le capitalisme sauvage du XIXe siècle voyait dans la sélection naturelle la justification de ses exactions sociales. Il donna naissance, sous les plumes de Spencer et de Thomas Huxley, plus que de Darwin, au «darwinisme social». Lequel fut théorisé par Galton et le «Major» Darwin, fils de Charles et président de la Société internationale d’eugénique, et fut appliqué par Davenport1>Fondateur du Laboratoire de génétique et eugénique de Cold Spring Harbor (NY). aux Etats-Unis, puis par ses disciples du IIIe Reich nazi. L’idée de départ venait de l’évêque Paley, qui voyait une nature parfaite puisque créée par un Dieu parfait. Il fallait s’en inspirer pour poursuivre l’œuvre divine. Un demi-siècle plus tard, il fût clamé que la Nature, c’était la lutte pour la vie et la loi du plus fort. La Nature divinisée désormais justifiait le pire, au titre de la volonté divine.

Cet enfumage politico-religieux, qui se porte encore très bien, déplaisait aux anticapitalistes de l’époque, en particulier à des biologistes de renom. Comme le prince Kropotkine, militant anarchiste et communiste russe. Pour contrer le darwinisme social, Kropotkine compila les innombrables exemples de symbiose et de coopération entre êtres vivants d’espèces différentes ou de même espèce, et en déduisit les leçons «d’entraide» que nos sociétés devaient en tirer2>P. Kropotkine, L’entraide, un facteur de l’évolution, 1902.. Avec les développements actuels de la biologie, on peut donner bien d’autres arguments allant dans le même sens, par exemple quand on s’aperçoit que les échanges énergétiques des cellules ou la photosynthèse sont l’affaire de bactéries «immigrées» dans leur cytoplasme. Ou que des prédateurs ou commensaux sont indispensables à la survie de leurs hôtes. Mais est-ce bien là la question?

Il est certain que nulle espèce ne survivrait sans les symbioses de ses cellules et le partage, équitable et durable, des ressources de son milieu. Et que les espèces sexuées et/ou sociales reposent sur la coopération entre les sexes ou entre les membres d’une communauté. Mais ça n’empêche pas les mutations, la recombinaison génétique et la sélection naturelle d’avoir sculpté les ailes et les nageoires, les branchies et les poumons, les anatomies et les physiologies des plantes et des animaux au cours de l’histoire de la vie. Ni les espèces de disparaître quand elles ne réussissent plus à se maintenir face aux changements de leur environnement.

De la férocité de Thatcher à l’angélisme de Kropotkine prospère la même erreur: celle qui consiste à voir du bien et du mal dans les processus naturels ainsi que des lois pour une morale. La vie ou la nature, sans majuscules, ont des mécanismes, mais ni loi, ni morale, ni bien, ni mal. Les lois et les morales, comme le bien et le mal, comme les dieux et les chefs, sont des inventions humaines arbitraires. Certaines de leurs combinaisons constituent des adaptations temporaires, utiles à la survie d’une population donnée à un moment donné. Mais d’autres mènent les sociétés vers le désordre et l’extinction. Jusqu’à la révolution industrielle et à la mondialisation, des centaines d’autres sociétés étaient prêtes à relayer celles qui s’éteignaient. A l’heure de la globalisation du «village mondial» et de l’abus de technologies dangereuses, c’est la survie de notre espèce que les erreurs de définition humaines du bien et du mal menacent.

Notes[+]

* Chroniqueur énervant.

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lundi 8 janvier 2018

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