La culture frappée de plein fouet
Les milieux culturels suisses attendent avec anxiété vendredi, jour de la prochaine conférence de presse du Conseil fédéral sur le coronavirus. Après l’annulation des manifestations de plus de 1000 personnes prononcée le 28 février, on craint évidemment l’annonce de mesures plus drastiques encore. Lesquelles mettraient à genoux un secteur touché de plein fouet – Bilan évoque un milliard de francs de pertes pour l’événementiel suisse –, avec son rituel désormais quotidien de douloureuses annulations. Après le FIFDH, le FIFF, les Rencontres 7e art ou le Cully Jazz lundi, la dernière victime en date est Voix de Fête, à Genève (lire ci-dessous).
Au Cully Jazz, on s’attend au pire: en tant qu’association à but non lucratif, le festival génère plus de 70% de ses recettes grâce au public. Ainsi, cette annulation «met en péril» la survie du festival, «d’autant qu’il ne possède aucune assurance capable de couvrir les pertes d’une annulation en cas de force majeure», communique-t-il, tout en encourageant les détenteurs de billets à ne pas demander de remboursement.
Perte de billetterie
A Genève, le Festival du film et forum international sur les droits humains (FIFDH) a partiellement lieu, mais en ligne: nombre de conférences sont diffusées par internet. Ce soir par exemple, on pourra suivre en livestream un grand entretien avec Abdulaziz Muhamat, lauréat du Prix Martin Ennals l’an dernier. Un plan B organisé en quarante-huit heures à peine et qui comprend aussi des collaborations avec d’autres festivals suisses, où seront montrés certains des films programmés. Pour autant qu’ils aient lieux.
Cette présence en ligne ne rapportant rien, la manifestation fera face à un important manque à gagner. «La seule perte des recettes de billetterie représente pour le FIFDH un manque à gagner estimé à 180’000 francs environ», nous communique le festival. Et impossible pour l’heure de savoir si les subventions publiques et privées seront maintenues, même pour ce qui est des 370’000 francs de la Ville de Genève. L’avenir n’est donc pas assuré, ici non plus.
A Genève, le Grand Théâtre a décidé de réduire sa jauge pour respecter la limite des 1000 places maximales recommandée par la Confédération. Dans les festivals, c’est plus compliqué: «La tenue partielle des activités pour respecter la limite (…) ne semble pas satisfaisante sur les plans sanitaires, artistiques et financiers au regard de ce que prévoit une édition normale», commente par exemple le Cully Jazz.
Fréquentation stable
Dans les théâtres, on temporise: avec des jauges en grande majorité en deçà de la limite des 1000 places autorisées, les annulations n’ont pas été nécessaires. Aussi, les salles contactées à Genève (Comédie, Grütli) et à Lausanne (Vidy, Arsenic) n’ont pas observé de baisse notable du nombre de spectateurs ces deux dernières semaines. «Notre fréquentation a même été meilleure ce dernier week-end que le précédent», note-t-on à La Comédie.
Aucune de ces institutions ne compte prendre de mesures spéciales ces prochains jours, «mais appliquera les décisions du médecin cantonal et de la Confédération», explique Patrick de Rham, directeur de l’Arsenic. «On conseillera de se laver les mains au même titre qu’on demande d’éteindre les portables», glisse Vincent Baudriller, à la tête du Théâtre de Vidy. Avec l’Arsenic et Les Printemps de Sévelin, son institution organise dès le 25 mars la sixième édition du festival des arts de la scène Programme commun, a priori maintenue.
Depuis la semaine dernière, de plus de voix s’élèvent pour demander que la Confédération aide les milieux culturels touchés par le coronavirus. Une requête que la Berne fédérale assure prendre au sérieux: un groupe de travail du Secrétariat d’Etat à l’économie, de l’Office fédéral de la culture et de la Fondation suisse pour la culture Pro Helvetia invite jeudi un panel d’associations culturelles à une audition – ProCinema, Petzi, SONART, Suisseculture, etc.
Artistes perdants
Au-delà d’une aide fédérale aux structures, Patrick de Rham estime que «ce sont les artistes et les travailleurs du secteur culturel qu’il faut protéger en particulier», par le biais d’un dédommagement étatique. En cas de force majeure, rappelle le directeur, les contrats liant les institutions aux artistes et aux auxiliaires perdent leur validité. «Pour le coup, ce sont les artistes les grands perdants: on leur signifie du jour au lendemain que le spectacles est annulé, sans aucune compensation.»
Et chaque maillon de la chaîne de répercuter les conséquences de cette annulation sur l’échelon suivant: le théâtre ne touche pas la billetterie et annule les contrats avec les compagnies, qui annulent à leur tour les contrats avec les interprètes et les techniciens, et ainsi de suite.
Cinéma: James Bond attendra
Dans les salles obscures, avec son titre programmatique, le dernier James Bond Mourir peut attendre est repoussé d’avril à novembre. Idem pour Miss de Ruben Alves, reporté à septembre, ou Pinocchio de Matteo Garrone, qui se cherche encore une nouvelle date de sortie. Ces grosses productions ont coûté cher, elles doivent rapporter un maximum d’argent: exclu de les sortir dans une période potentiellement creuse.
Or selon ProCinema, faîtière des exploitants de salles de cinéma et des distributeurs suisses de films, une baisse de fréquentation se serait fait sentir le week-end dernier. «Cependant, nous ne savons pas dans quelle mesure elle est due à la peur du coronavirus», explique René Gerber, secrétaire général. Il évoque alternativement la concurrence du beau temps et l’intérêt potentiellement limité des spectateurs pour les films au programme.
Côté musées, si certaines petites structures ont observé des baisses de fréquentation parfois importantes ces derniers jours, ce n’est pas forcément le cas des grandes institutions. Ainsi, au Musée cantonal des beaux-arts de Lausanne, on a comptabilisé une moyenne confortable de mille visiteurs par jour. SSG