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Et Trump inventa la paix…

Transitions

Depuis sa présentation le 28 janvier à Washington, le pseudo-plan de paix pour la Palestine a suscité bien des commentaires. C’est étonnant qu’un non-plan pour une non-paix puisse faire couler autant d’encre! La conférence de presse donnée par le génial président et le dévoué Netanyahou fut une exhibition de cynisme et de congratulations mielleuses. Des enfants de 7 ans rivalisant de vantardises n’auraient pas fait mieux. Si ces deux-là ont réinventé la paix, moi j’ai inventé la roue! A la limite, on pourrait se rassurer en se disant que ce texte n’a aucune chance d’être appliqué: tout ce ramdam pourrait n’être qu’une grotesque opération de marketing, les deux compères étant tous deux confrontés aux mêmes défis: gagner les prochaines élections et échapper à la justice. La présentation de l’accord le plus fabuleux jamais élaboré depuis que Dieu créa le ciel et la Terre nous fut servi avec un aplomb si effarant qu’il aurait pu prêter à rire plus qu’à pleurer. Et pourtant on pleure.

Qu’on appelle «accord de paix» le bétonnage du statu quo et la consolidation d’une opération de dépossession n’est rien d’autre qu’une imposture. Bien sûr, il y a quelques milliards de dollars à la clé pour les Palestiniens. On comprend ainsi pourquoi cette proposition est désignée par ses auteurs comme «le deal du siècle»: en homme d’affaires averti, Trump pense pouvoir acheter leur reddition, comme on achète le silence de la victime d’un viol (ce que Trump sait aussi faire). La Palestine, pour lui, on dirait que ce n’est pas un peuple, mais juste un problème qui dure depuis trop longtemps pour qu’on s’échine à le résoudre.

Coupée en deux, entre Gaza en réclusion et la Cisjordanie morcelée, la Palestine fait déjà peine à voir. Mais avec le plan Trump, elle perdrait encore 30% de son territoire. La «souveraineté» qui lui serait concédée s’exercerait sur quelques régions et une pluie de confettis, un labyrinthe de tunnels et de voies de déviation slalomant entre blocs de béton et colonies transformées en forteresses. A l’apartheid social déjà en cours s’ajouterait un apartheid géographique encore plus hermétique, puisqu’il est même question de faire basculer des villages arabes israéliens situés à la lisière de la ligne verte (la frontière établie par les accords de 1949), dans ce que le plan ose nommer l’Etat palestinien, ouvrant la voie à un nettoyage ethnique pour préserver la pureté de l’«Etat nation du Peuple juif» décrété en juillet 2018.

Mais la mainmise israélienne sur la Palestine ne s’arrête pas là car le volet économique est à l’image du reste: le plan entérine le vol des terres, le détournement des eaux territoriales et l’accaparement des ressources naturelles. Et si cela ne suffit pas, Netanyahou a déjà interdit l’exportation des produits agricoles des cultivateurs palestiniens. Quant aux réfugiés, Trump n’en veut plus rien savoir. Qu’ils restent au Liban ou en Jordanie: depuis le temps, c’est devenu leur pays et leurs enfants n’ont jamais mis les pieds en Palestine! C’est contraire au droit et c’est oublier que depuis septante ans nombreux sont ceux qui vivent dans des camps en Palestine même. Depuis que les Etats-Unis ont coupé les subventions à l’agence onusienne (UNRWA) qui leur vient en aide, ils risquent d’être privés d’écoles et de soins médicaux.

Quelle réponse opposer à ce forfait? Un gouvernement palestinien sans cohérence, une Autorité sans substance, des dirigeants du Hamas enfermés dans leur stratégie de roquettes lancées sur le sud d’Israël, provoquant en retour une pluie de bombes sur Gaza, des jeunes Palestiniens faisant provision de pierres face à l’armée israélienne au risque d’un massacre? Alors qui? Les mouvements israéliens pour la paix et les militants de la campagne BDS (boycott, désinvestissement, sanctions) se mobilisent, mais pour que cela fasse effet il faudrait que l’Autorité palestinienne se décide à rejoindre le mouvement et à arrêter sa coopération sécuritaire avec Israël. Et l’Europe? Et nous? Voilà ce qui fait mal: nous n’en pouvons plus de l’impuissance dans laquelle nous végétons. La droite israélienne a pulvérisé sans état d’âme ce qu’on prenait pour des remparts: les résolutions de l’ONU, les conventions internationales, les arrêts de la Commission onusienne des droits humains, les accords conclus. Comment fait-on pour réagir efficacement quand le spectacle de l’arrogance est étalé sans pudeur devant nos yeux? On éteint la télé? «Souvent les limites sont celles de la honte», disait dans une récente interview un opposant à cette politique de non-droit, l’avocat israélien Michael Sfar. Optimiste, il ajoutait «Nous essayons de construire sous la surface le terrain favorable au changement.» Espérons que le sous-sol sera fertile. A défaut, l’humiliation infligée aux Palestiniens pourrait précipiter leur radicalisation.

Notre chroniqueuse est ancienne conseillère nationale.
Publication récente: Mourir debout. Soixante ans d’engagement politique, Editions d’en bas, 2018.

Opinions Chroniques Anne-Catherine Menétrey-Savary

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lundi 8 janvier 2018

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