Intersectionnalité et voix oubliées en démocratie
Maître-assistante au Département de science politique de l’université de Genève, Noémi Michel s’intéresse particulièrement à la question des personnes minorisées en démocratie, à leurs vécus et mobilisations. Adoptant une approche critique de la théorie politique et privilégiant la pensée féministe noire, ses recherches tentent de comprendre la co-constitution du corps et de la voix politiques afin de mieux appréhender la persistance de voix inégales au sein des démocraties.
La chercheuse montre comment la production de la différence genrée et racialisée participe aussi de la production d’une voix politique et elle s’intéresse à ce qu’il advient de la signification et des implications de l’inclusion démocratique lorsque nous prenons au sérieux la dimension incarnée de cette voix. Le 27 février prochain, elle abordera donc la thématique «Des voix inaudibles et oubliées en démocratie» lors d’une rencontre animée par le politiste vaudois Antoine Chollet qui se tiendra au Théâtre de Vidy à Lausanne. A cette occasion, le comédien romand Vincent Bonillo fera deux lectures d’Audre Lorde.
La question des «invisibles» de la démocratie est particulièrement prégnante à une époque où est fréquemment évoquée l’idée d’une «crise de la démocratie» touchant nombre de sociétés occidentales. Entre la défiance grandissante vis-à-vis des institutions démocratiques et l’érosion de la légitimité des élites politiques naît un sentiment de mal-représentation. Il semble alors pertinent d’interroger celles et ceux dont ce régime politique rend les voix inaudibles. Car si la démocratie est traditionnellement entendue comme la forme de gouvernement inclusive par excellence dans laquelle la souveraineté appartiendrait au peuple, un certain nombre de facteurs ont systématiquement positionné certains et certaines à la marge dudit «peuple» et du champ politique.
De toute évidence, en démocratie, les femmes ont été invisibilisées et privées du statut de citoyennes jusqu’à très récemment dans l’Histoire occidentale. Malgré l’octroi de certains droits politiques réclamés par les féministes de la première vague, d’autres inégalités plus profondes continuent à être structurantes dans une société patriarcale où les discriminations subies relèguent les femmes au second rang du pouvoir. Plus récemment encore, le féminisme noir a permis de mettre en lumière d’autres facteurs, tels que la race ou la classe, qui constituent autant d’oppressions entremêlées qui marginalisent encore davantage certaines femmes. Le caractère multidimensionnel des réalités vécues par les personnes opprimées invite donc à adopter un regard intersectionnel sur la question des «oublié-e-s» en démocratie. Il s’agit ainsi, dans une approche post-coloniale, de décentrer le regard hégémonique et de s’affranchir des biais eurocentrés et androcentrés de la science politique traditionnelle.
S’intéresser à celles et ceux qui appartiennent à cette frange invisibilisée, comprendre comment leurs voix se construisent, et – pour une fois – les écouter est une démarche non seulement nécessaire mais aussi particulièrement enrichissante d’un point de vue épistémologique, en tant que standpoint (point de vue).
Dans son manifeste, le Combahee River Collective [organisation féministe lesbienne radicale étasunienne, pionnière du Black feminism] affirmait: «Si les femmes noires étaient libres, toutes les autres personnes seraient libres aussi, car notre liberté implique la destruction de tous les systèmes d’oppression». Partir de la perspective des groupes minorisés permet ainsi d’entretenir une réflexivité critique mais aussi de mieux cibler les inégalités que la démocratie cristallise encore aujourd’hui.
Notre invitée est politologue.
«Des voix inaudibles et oubliées en démocratie» par Noémi Michel, jeudi 27 février, 20h, Théâtre de Vidy, avenue E-H. Jaques-Dalcroze 5, Lausanne.