Coronavirus: garder la tête froide
L’Occident doit-il avoir peur du coronavirus 2019-nCoV, qui paralyse la province de Hubei en Chine? Se transmettant par les voies respiratoires, cet agent infectieux qui provoque une pneumonie a fait en tout 81 morts et infecté quelque 2700 personnes au moment où nous écrivons ces lignes.
En Europe, la tension est montée d’un cran à la suite de la confirmation de trois personnes infectées en France, hospitalisées à Paris et Bordeaux. On est bien loin de la menace représentée par le SRAS en 2003, qui avait fait 774 victimes sur 8096 cas, dont 349 en Chine et 299 à Hong Kong. Toujours est-il que cette épidémie, dont le degré d’alerte a été revu de «modéré» à «élevé» par l’Organisation mondiale de la santé (OMS), a des effets concrets sur la vie économique, touristique et sanitaire.
En Suisse, la suspicion de la présence du virus chez deux patients de l’Hôpital Triemli, à Zurich, ne rassure pas. L’Helvétie ne panique pas mais ressent le contrecoup de ce virus qui s’invite en plein Nouvel-An chinois, occasion de voyages des touristes de l’Empire du Milieu vers notre pays.
1. Les masques pris d’assaut
Les masques respiratoires se vendent comme des petits pains dans les pharmacies. Leurs acheteurs sont en majorité des Chinois préparant un voyage dans leur pays ou qui désirent en envoyer à leurs parents. «Nous vendons 15 à 20 masques par jour», confie une vendeuse d’une grande enseigne à Lausanne. Au point d’être en rupture de stock. C’est d’ailleurs le cas de nombreuses pharmacies contactées entre Genève et Fribourg. «Actuellement, en raison de l’augmentation exponentielle de la demande, tous les masques disponibles ont été livrés et vingt fois la quantité normale de commandes annuelles est en attente de livraison», reconnaît Patrick Fehlmann, responsable Gestion des thèmes & spécialiste communication du groupe Galenica. «Normalement, notre grossiste Galexis dispose d’un stock d’un mois. Les masques pourront être à nouveau livrés en février 2020.»
Ce lundi, 20 Minuten indiquait que 24’000 masques avaient été écoulés dans une pharmacie de la gare de Zurich en six jours, chiffre non confirmé par Galenica. Même avarice d’information du côté de Benu, qui lâche tout de même que la demande en masques est plus forte dans les villes prisées par les Asiatiques, comme Lucerne. Chez Benu, on se prépare. «Au vu des commandes chez les grossistes, nous avons relevé le seuil des stocks», souligne Aurélien Cluzeau, responsable marketing. «C’est relativement important par rapport à une année classique. Mais nous ne sommes pas au stade qu’on a connu avec le SRAS.»
Des Chinois résidant en Suisse sont solidaires de leurs compatriotes. «Acheter des masques pour ceux qui sont restés au pays se fait aussi depuis l’Allemagne», glisse Lena Lio, ressortissante chinoise de Pully. «En Chine, il y a une rupture de stock et c’est très mal organisé. Les gens ont reçu des combinaisons et des masques de mauvaise qualité.» Et d’affirmer ne pas vouloir céder à la psychose. «J’en achèterai si le virus arrive en Suisse, pas avant.»
2. Les industries sont sur le qui-vive
Du côté des industries qui font des affaires en Chine, la prudence est de mise lorsqu’on se rend dans l’Empire du Milieu. L’entreprise saint-galloise Bühler Group (moulins à céréales et technologies agroalimentaires), qui compte sept sites en Chine, mais aucun à Wuhan, a rappelé les règles d’hygiène à ses quelque 3000 employés dans le pays, indique le porte-parole Markus Reber. «Quelques-uns de nos collaborateurs qui étaient en Chine, sur nos sites, mais sans y travailler, sont rentrés chez eux, en Inde et en Suisse par exemple. Nous leur demandons de «s’autosurveiller» pendant deux semaines pour le cas où des symptômes apparaîtraient et d’aller immédiatement chez le médecin si cela était le cas.»
Chez Bobst, constructeur de machines d’emballages basé près de Lausanne et implanté dans plusieurs régions de Chine, les voyages sont limités aux déplacements essentiels depuis la semaine dernière, selon son porte-parole. Idem pour les groupes industriels Schindler et ABB, qui ont des implantations à Wuhan même (capitale de la province de Hubei et épicentre de l’épidémie), à l’instar de Panalpina, Bucher et Weidmann. Les collaborateurs d’UBS revenant des régions infectées sont priés de se mettre eux-mêmes en quarantaine.
Les entreprises étrangères présentes dans les régions soumises à confinement ont beau déclarer, à l’instar d’ABB, que la production n’est pas affectée, elles subissent quand même la tempête des marchés financiers: –3,3% pour le géant helvético-suédois, –3,9% pour LafargeHolcim. Une défiance des investisseurs qui s’étend aux entreprises qui réalisent une large part de leur chiffre d’affaires dans le tourisme, les transports et la consommation dans l’Empire du Milieu, comme les horlogers Swatch Group (–4,3%) et Richemont (–3,3%) ou le fabricant de produits de luxe Kering (–4,2%) et l’avionneur Airbus (–3,8%).
«Les marchés répercutent des informations du week-end», résume l’économiste Jérôme Schupp à Genève. Néanmoins, les experts attendent les développements de l’épidémie pour estimer si elle entraînera un réel ralentissement de l’économie chinoise, ou si elle ne sera qu’un petit accident de parcours.
3. Le tourisme est peu à peu paralysé
Le tourisme au départ de la Suisse vers l’Empire du Milieu se fige. «Oui, la demande de voyages en Chine est actuellement limitée», reconnaît Markus Flick, responsable de la communication du groupe de voyage DER Touristik-Kuoni à Zurich. «La santé et la sécurité de nos clients est notre priorité. Nous offrons l’annulation et une nouvelle réservation gratuites pour les voyages en Chine dont la date de départ est fixée avant le 31 mars prochain.»
Selon le voyagiste, la probabilité d’être infecté en faisant un voyage dans la province de Hubei ou dans le reste de la Chine est négligeable. «Les autorités chinoises ont pris des mesures rigoureuses et, à notre avis, prometteuses pour prévenir de nouvelles infections chaque fois que cela est possible», note M. Flick.
Et de Chine vers la Suisse? Les touristes de l’Empire du Milieu sont nombreux à venir visiter la Suisse à l’occasion du Nouvel-An chinois. Du côté de l’Office du tourisme de Lucerne, il n’y a pas d’affolement: «quelques hôtels» ont reçu des annulations ces derniers jours de un à deux groupes venant de Chine. La faîtière des hôteliers suisses repère quand même des signaux à prendre au sérieux. «Suisse Tourisme s’attend à une baisse de 30 à 50% du nombre de touristes chinois pour les semaines et les mois à venir (ces derniers totalisant plus de 1,3 million de nuitées en 2018 en Suisse, ndlr)», indique Karin Sieber, porte-parole d’hotelleriesuisse. LA LIBERTÉ
Les patients zurichois pas infectés
Il n’y a pas de patient atteint par le coronavirus à l’hôpital du Triemli à Zurich. Les deux patients hospitalisés et présentant des signes d’infection après un séjour en Chine n’ont pas la maladie. Les tests pratiqués par le centre national de référence pour les infections virales émergentes (CRIVE) à Genève se sont révélés négatifs, apprend-on ce mardi matin.
L’Office fédéral de la santé publique (OFSP) n’a pas ordonné de tests de températures dans les aéroports suisses, comme d’autres pays. «Des cas isolés ne peuvent plus être exclus en Suisse, écrit l’office, mais il n’y a pas lieu d’appliquer pour l’instant à l’entrée du territoire suisse des mesures semblables à celles prises dans certains pays d’Asie du Sud-Est, à Rome et à Londres.» Plusieurs aéroports américains ont également mis en place des mesures de dépistage. «Mais la Suisse n’a pas de liaison directe avec Wuhan», centre de l’épidémie, explique une porte-parole de l’OFSP. Selon elle, quelques tests négatifs ont déjà été enregistrés en Suisse, les symptômes pouvant être semblables à ceux de la grippe saisonnière.
Quatre des huit Suisses enregistrés à Wuhan sont encore sur place, a précisé le Département fédéral des affaires étrangères (DFAE) ce lundi. «L’ambassade est aussi en contact avec d’autres ressortissants», précise le porte-parole Georg Farago. Le DFAE «suit l’évolution de la situation en Chine de très près et soutient, en cas de besoin, les Suisses dans le cadre de la protection consulaire.» Il n’était pas possible de savoir, lundi, si cette prestation avait été réclamée. Aucun cas de maladie de ressortissant helvète n’a été annoncé. ARIANE GIGON/ATS