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Woody Allen, ou la fascination pour les nymphettes idiotes

Woody Allen, ou la fascination pour les nymphettes idiotes
Elle Fanning dans Un jour de pluie sur New York de Woody Allen. FRENETIC FILMS
Les écrans au prisme du genre

Il faut remonter à Small Time Crooks (Escrocs mais pas trop) sorti en 2000, pour trouver un film de Woody Allen qui a fait plus d’entrées aux Etats-Unis que dans le reste du monde – c’est-à-dire en Europe. Autant dire que cela fait presque vingt ans que Woody Allen est devenu de fait un cinéaste européen, et son avant-dernier opus, Wonder Wheel (2017), n’a rapporté qu’1,4 million de dollars aux Etats-Unis sur des recettes mondiales de 15,3 millions de dollars (pour un budget de 25 millions). Cela donne une idée de l’effondrement de sa popularité dans son pays. Pourtant, s’il y a un endroit où son prestige semble inentamé, c’est en France! Ses films frôlent ou dépassent régulièrement le million d’entrées, et la critique reste très majoritairement dithyrambique.

Son dernier film n’échappe pas à la règle: selon le site Allociné, la note moyenne d’Un jour de pluie sur New York pour 33 critiques de presse est de 4/5, et la moyenne des critiques spectateurs est à peine plus basse: 3,7.

Alors qu’Amazon, qui l’a financé, a renoncé à sortir le dernier film de Woody Allen aux Etats-Unis en raison des accusations d’abus sexuels sur mineure réitérées par sa fille adoptive Dylan Farrow1>Rappelons que si les poursuites contre le cinéaste ont été abandonnées, c’est «pour épargner à la victime le traumatisme supplémentaire d’un témoignage dans le cadre d’un procès, malgré la présence de raisons suffisantes pour engager des poursuites». Cf. M. Henneberger, «Connecticut Prosecutor Won’t File Charges Against Woody Allen», The New York Times, 25 septembre 1993., le public français semble continuer à vouloir «séparer l’homme et l’œuvre», la formule magique qui fleurit ces derniers temps à propos de Roman Polanski comme de Woody Allen.

Voyons donc ce que nous raconte le dernier opus de Woody Allen: Gatsby (Timothée Chalamet), un jeune étudiant new-yorkais – qui a le privilège d’être le narrateur de l’histoire –, aussi intelligent que cultivé, mais trop désabusé pour exercer ses talents ailleurs qu’autour d’une table de poker, est envoyé par sa mère en pénitence dans une petite université rurale au nom fictif, Yardley. Quand le film commence, sa petite amie Ashleigh (Elle Fanning), fille d’un banquier de Tucson en Arizona, a obtenu un entretien avec un réalisateur new-yorkais pour la gazette de l’université. Il l’accompagne pour lui montrer New-York. C’est une blonde idiote qui a l’air d’avoir douze ans, grâce au look androgyne d’Elle Fanning qui parle comme une ado prépubère et s’habille comme une collégienne – sa jupe plissée s’arrêtant à mi-cuisse, quand même! Mais bien sûr, aucun rapport entre l’homme et l’œuvre!

En fait, les deux amoureux vont passer le week-end chacun-e de leur côté: la blonde idiote se fait embarquer d’abord par le réalisateur aussi génial que dépressif (forcément), puis par le scénariste, enfin par un bellâtre latino, acteur de soap-opera qu’elle suit chez lui avant de se retrouver sur l’escalier de secours, en petite tenue et trempée… sans qu’elle comprenne jamais ce qui lui arrive!

De son côté, Gatsby, lâché par sa blonde, retrouve sur un tournage une jolie brune dont il a naguère fréquenté la sœur; puis se console avec une escort-girl qu’il fait passer pour sa fiancée au gala de charité de sa mère; laquelle n’est pas dupe et lui apprend que c’est grâce à ce métier rémunérateur qu’elle exerçait dans sa jeunesse que son mari, le père du jeune homme, a fait fortune… Ayant perdu toutes ses illusions sur les femmes, il se consolera avec la jolie brune qui se propose de lui apprendre à baiser. Morale de l’histoire: toutes des salopes ou des putes, même ma mère! Précisons que tout se passe dans des palaces, des appartements luxueux et des boîtes de nuit: le New York de Woody Allen est celui du tourisme de luxe.

On ne peut pas dire que ce 53e opus allénien réserve des surprises: les filles sont «irrésistibles» pour ceux qui les aiment très jeunes et complètement idiotes. Pour l’art et la culture, on reste entre hommes. Et quand on veut s’encanailler, il y a heureusement quelques jolies brunes un peu chaudes…
Le goût des cinéphiles français pour ce genre de gaudriole distinguée explique sans doute le peu d’effet qu’a eu #MeToo en France, en particulier dans le milieu du cinéma. Adèle Haenel parviendra-t-elle à ouvrir une brèche?

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Notre chroniqueuse est historienne du cinéma, www.genre-ecran.net

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mercredi 27 novembre 2019

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