Chroniques

Une journée à Bethléem

AU PIED DU MUR

Ces derniers temps, on parle peu des Palestiniens – l’attention internationale se tourne davantage vers l’Irak, la Syrie et les pays du Golfe, si l’on excepte les sordides affaires judiciaires liées au premier ministre israélien, Benyamin Netanyahou.

Pourtant les Palestiniens sont bien là, vivants et résistants. Certes, ils ne se situent pas dans une phase offensive, loin s’en faut, mais pas non plus dans la résignation. L’aspiration à une libération rapide du joug colonial israélien a fait place à une forme de résistance au quotidien, dans l’attente d’un meilleur rapport de force régional et international.

Il y a quelques jours, j’étais au bureau du Centre d’information alternative à Beit Sahour1>Les trois villes de Bethléem, Beit Sahour et Beit Jala forment une seule agglomération urbaine. pour une réunion de travail. Comme je devais faire un exposé dans l’après-midi, j’ai décidé de consacrer mon temps libre à une promenade en ville. Mon camarade Ahmad m’a accompagné. Ahmad est un indécrottable optimiste, comme le sont tous les résidents de Sair, cette petite ville proche de Hébron qu’on a longtemps appelée «la Hanoï de Palestine»: «Tu vas voir que partout ici on résiste!» Et avec un sourire: «Certes, ce n’est pas Hébron, mais les gens se battent au quotidien…»

On commence par une visite à la municipalité de Bethléem où nous avons des amis. Pendant le café – incontournable –, Muna me décrit l’héroïsme des mamans qui sont, dit-elle, «les garantes de la normalité». «Ils [les Israéliens] veulent détruire notre vie et faire de nous des bêtes féroces ou des agneaux soumis. On ne sera ni l’un ni l’autre. On enseigne à nos enfants la fierté d’être Palestiniens et on investit tous nos efforts pour qu’ils soient éduqués, car c’est le seul capital qu’on ne peut pas nous prendre… un peu comme les juifs d’Europe au XIXe siècle.»

D’autres se joignent a nous, et la conversation glisse rapidement vers la politique: s’ils restent respectueux, les propos envers le président Abbas ne sont pas tendres, et le bilan de son impuissance face à Israël fait l’unanimité. «Il n’a qu’à rendre les clés et laisser Israël gérer – et payer – l’occupation».

Un peu plus tard dans un café de la place de la Mangeoire, où Jésus est né, un jeune à la coupe ultramoderne ne mâche pas ses mots: «La première chose à faire, c’est de cesser la collaboration sécuritaire avec l’occupant. C’est quoi ça, si ce n’est de la collaboration?» Un peu plus tard, nous prenons le thé avec Abed, un neveu d’Ahmad qui étudie à l’université catholique. Comme nombre de jeunes de son âge, il ne croit pas à un quelconque «processus de paix» avec Israël: «Cela fait trente ans qu’on nous bassine avec ce soi-disant processus; le seul processus que je vois c’est celui de la colonisation. Il n’y aura pas d’Etat palestinien, du moins tant qu’Israël existera. On a le temps avec nous, et l’ensemble du monde arabe; ce qu’il faut c’est résister, avec tous les moyens dont nous disposons.»

Nous traversons le marché: étonnamment bien fourni, avec des prix abordables. Des processions de pèlerins essayent de se frayer un chemin entre les étals. Jouxtant Jérusalem, l’agglomération de Bethléem en est à une année-lumière: entre les deux villes, le barrage 300 interdit l’accès à Jérusalem à tous les Palestiniens qui n’ont pas de permis… c’est-à-dire quasiment tous les Palestiniens de Cisjordanie. L’atomisation des territoires palestiniens occupés est le cœur de la stratégie israélienne, dont le siège de Gaza en constitue l’aspect le plus cruel. Malgré les milliers de pèlerins et de touristes étrangers (le tourisme semble à nouveau se développer), Bethléem reste une semi-enclave, entre Jérusalem annexée et le bloc des colonies d’Etzion. Pourtant, ses habitants ne se résignent pas, et en existant ils résistent. Je suis entré dans l’hôtel où je devais donner ma conférence avec, en moi, cette force que m’avait donnée la résilience rencontrée tout au long de ma journée à Bethlehem, ville occupée mais libre.

Notes[+]

Notre chroniqueur est militant anticolonialiste israélien, fondateur du Centre d’information alternative (Jérusalem/Bethléem).

Opinions Chroniques Michel Warschawski

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lundi 8 janvier 2018

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