Hors la loi. Jusqu’à quand?

La proposition rendue publique mercredi par l’OCDE pourrait faire date. Du moins, elle casse un tabou: à l’heure de l’économie numérique globalisée, la souveraineté fiscale ne peut plus être absolue, défend l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE). Dans son principe, le dispositif prévoit qu’un Etat puisse imposer une multinationale active sur son marché national, bien que le service soit entièrement ou partiellement fourni depuis l’étranger. La disposition, soumise à consultation, est évidemment destinée aux géants du Web (Google, Facebook and Co) mais elle ébranle l’entier du système de l’«optimisation fiscale».
Instrument des pays riches, l’OCDE fut longtemps le fer de lance du libéralisme le plus décomplexé. Et lorsqu’il fallut s’adapter à l’ère du «capitalisme compatissant», l’organisation mit en place un mécanisme de contrôle des multinationales, dit des «Points de contact nationaux», dont la fonction première était de prévenir toute réglementation internationale un tant soit peu sérieuse. Sans parler de sa piètre chasse aux paradis fiscaux, lancée dans le sillage de la crise de 2008.
En brisant le tabou de la souveraineté fiscale, l’OCDE semble franchir un palier. Sous la pression de grands Etats saignés dans leurs recettes, des mesures de transparence, de réciprocité et d’harmonisation (BEPS) avaient déjà été prises, conduisant par exemple la Suisse à renoncer aux statuts spéciaux des sociétés étrangères et à accepter l’échange d’informations fiscales. Mais le système achoppait sur les transferts financiers réalisés entre les filiales de ces géants tentaculaires. L’OCDE semble déterminée à ne pas s’en laisser conter.
Et le vent de la régulation ne s’arrête pas aux enjeux fiscaux. Aujourd’hui, rares sont les traités de libre-échange qui ne provoquent pas de débats enflammés. Partout en Europe, pétitions massives et initiatives législatives réclament que les transnationales n’échappent plus à leurs responsabilités en se cachant derrière une filiale galeuse ou un accord de protection des investissements.
La semaine prochaine, pas moins de deux instances onusiennes en débattront à Vienne et à Genève sous la pression grandissante de ceux qui refusent que des acteurs parmi les plus puissants de la planète puissent se soustraire aux lois tout en imposant les leurs aux Etats. Mais à l’instar de la lutte climatique, seule la rue peut obliger, malgré les lobbies, de passer des paroles aux actes. Une bonne raison de rejoindre le cortège de samedi à Genève contre l’impunité des transnationales.