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Responsables de quoi?

(Re)penser l'économie

Les Chambres fédérales traitent de l’initiative «Pour des multinationales responsables» avant qu’elle soit soumise en votation populaire et envisagent de lui opposer un contre-projet. Cette initiative veut contraindre les transnationales à respecter les normes internationales en matière de droits de l’homme et d’environnement dans leurs activités à l’étranger. Cet été, la conseillère fédérale Karin Keller-Sutter a proposé, au nom du Conseil fédéral, un contre-projet qui prévoit que les transnationales concernées devraient établir un rapport sur le respect des droits humains et des normes environnementales. Les entreprises qui ne souhaiteraient pas établir un tel document expliqueraient pourquoi…

Comme on peut le constater, le Conseil fédéral est un fidèle soutien de ces entreprises et n’est pas disposé à les obliger à quoi que ce soit dans leurs activités sur le plan mondial. Ce contre-projet a surtout pour objectif d’empêcher une éventuelle acceptation de l’initiative par le peuple.
Cette initiative doit être soutenue. Mais il est nécessaire de clarifier un point essentiel lorsque les auteurs du texte parlent de multinationales «responsables». Le Conseil d’administration de n’importe quelle transnationale est composé d’individus dont la responsabilité première et fondamentale est de faire en sorte que l’entreprise génère des profits. C’est la base même et existentielle de la survie en système capitaliste. Voilà la responsabilité qui guide toutes les actions des transnationales et à laquelle sont subordonnées toutes les autres considérations.

Dans la plupart des cas, on ne peut pas imaginer que tel-le ou tel-le administrateur/trice prenne des décisions visant à violer délibérément les droits humains. Et pourtant, c’est ce qui se passe souvent dans des pays en développement, lorsque les conditions économiques et les législations autorisent ou favorisent la violation de ces droits. Produire dans des pays à bas salaires ouvre la voie à des actions répressives contre les travailleurs/euses qui veulent défendre leurs droits. Les exemples ne manquent pas où des syndicalistes sont assassinés.

Pratiquer la corruption – cela fait plus propre de parler de rétrocommissions – pour obtenir des concessions minières dans des pays dirigés par des potentats n’est pas l’exception mais la règle. Utiliser des produits chimiques interdits en Suisse parce que l’Etat du tiers-monde où l’on investit l’autorise, c’est se conformer au droit du pays d’accueil. Causer des dégâts environnementaux par des pratiques d’extraction basées sur les coûts les plus bas fait partie de la normalité. Déverser en Afrique des déchets issus de la production industrielle sans se soucier des conséquences à long terme pour les populations n’est pas une exception.

La concurrence acharnée que se livrent des transnationales dans le monde favorise ce type de comportement à tel point que certaines d’entre elles procèdent à l’évaluation du rapport coût/bénéfice de certaines de leurs activités. Par exemple, le dégât d’image d’une campagne de dénonciation sera-t-il plus coûteux financièrement que la poursuite d’une activité contestable? Ou encore: n’est-il pas préférable de risquer une amende que de renoncer à fabriquer tel ou tel produit ou réaliser certaines activités?

Je risque de paraître cynique aux yeux de lectrices et de lecteurs de cet article. Pourtant, regarder la réalité telle qu’elle se manifeste est la condition première de tout changement. Si les adversaires de l’initiative se mobilisent et cherchent des échappatoires, c’est qu’ils ont bien compris que les conditions d’existence en économie capitaliste ne peuvent dépendre prioritairement de normes éthiques ou morales. Sauf si elles s’appliquent à toute l’économie et de manière universelle, car alors les conditions de la concurrence deviennent uniformes. Ce qui, dans l’économie mondialisée paraît bien illusoire.

Voter oui à l’initiative c’est d’abord affirmer la volonté politique que l’économie soit au service des droits humains, mais en sachant que seule une transformation radicale du mode de production est susceptible de réaliser cet objectif.

Notre chroniqueur est membre de SolidaritéS et ancien député.

Opinions Chroniques Bernard Clerc

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lundi 8 janvier 2018

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