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Quand les cosaques ratonnent

Le Kremlin relègue la répression politique aux «cosaques», des bandes paramilitaires à l’idéologie nationaliste. Témoignage d’un passage à tabac de personnes sans abri.
Russie

Dans l’après-midi du 22 août, dans la ruelle Pyatnitsky, à Moscou, les cosaques ont attaqué des sans-abri. Soudainement, plusieurs hommes de grande taille en tenue de camouflage et munis de masques à gaz ont déboulé, vociférant et ordonnant aux sans-logis de déguerpir immédiatement. Sans attendre, ils les ont arrosés d’essence, gazés au moyen de sprays, battus avec des barres de fer. Ces «cosaques» aux idées nationalistes extrêmes, on en retrouve de nombreuses bandes disséminées en Russie. Nervis du pouvoir, ils proclament leur soutien sans faille au gouvernement de Vladimir Poutine et pourchassent sans retenue tout ce qui ne correspond pas à leurs critères sociaux: marginaux, gays, opposants politiques et sans-abri.

Alexeï, l’une des victimes, raconte: «Nous n’avons pas eu le temps de comprendre. Ils nous sont tombés dessus en gesticulant. Immédiatement, tout en hurlant que nous avions trois secondes pour déguerpir, ils nous ont attaqués. Quatre personnes ont eu le visage gravement brûlé, une cinquième a une jambe cassée.» Dasha Baïbakova, la directrice de l’association Nochlechka à Moscou, qui vient en aide aux personnes sans abri, complète: «Cet événement est tout sauf un incident isolé. La politique de l’Etat relative aux sans-abri à Moscou s’exprime non pas en aidant ces personnes, mais en les discriminant.» Le but de la manœuvre: chasser les sans-abri, les emmener quelque part, les faire disparaître.

«Quelle dérision et quel cynisme, lorsqu’on sait qu’être sans abri est en grande partie un effet pervers de la politique étatique», poursuit Mme Baïbakova. Apatrides dans leur propre pays, les sans-abri survivent dans des conditions exécrables. En effet, en Russie, les droits individuels ne sont pas attachés aux personnes, mais à leur résidence, dont l’enregistrement nécessite l’approbation des autorités compétentes. En outre, les critères pour obtenir un enregistrement de résidence permanente requièrent soit d’être propriétaire, soit d’avoir une attestation du propriétaire. De ce fait, des millions de citoyens russes sont privés d’identité et de tout droit.

En 2018, le groupuscule cosaque moscovite a reçu une subvention de 32,6 millions de roubles (484 403 francs) du gouvernement de Moscou pour «travailler» avec les sans-abri. Un montant alloué «pour la mise en œuvre de mesures préventives dans la ville de Moscou auprès des personnes impliquées dans le vagabondage et la mendicité, ainsi que pour l’assistance et l’aide sociales apportées aux citoyens sans abri (sic)».

En mai 2018, lors d’une manifestation de l’opposition, un journaliste du Temps qui s’était rendu sur place avait pu constater la bienveillance policière face à une violente intervention cosaque. A la suite de la ratonnade survenue dernièrement à la rue Pyatnitsky, le service de presse du Ministère de l’intérieur a annoncé qu’il n’avait rien à déclarer à ce sujet.

Grigory Sverdlin, président de Nochlechka, a confirmé que l’association avait l’intention de déposer une plainte auprès du service de la protection sociale afin d’obtenir des éclaircissements sur les violences de la rue Pyatnitsky. Elle souhaite aussi obtenir des explications à propos de la subvention allouée aux activités des cosaques.

*Nochlechka Suisse Solidaire, www.suissesolidaire.org

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