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Des produits bio dispensés de contrôle…

La Suisse et le Chili se sont mis d’accord sur une reconnaissance mutuelle des normes appliquées aux produits biologiques. Le cinéaste Daniel Künzi, auteur d’un documentaire en cours de réalisation sur la commercialisation des pommes chiliennes, s’interroge sur les implications.
Libre échange

Lundi 12 août, le Conseil fédéral a publié un accord entre la Suisse et le Chili, pour une reconnaissance mutuelle des produits bio. Les produits bio chiliens seront dispensés de contrôle en Suisse et vice versa. En cours de réalisation d’un film sur le commerce des pommes avec le Chili, je m’interroge sérieusement s’il ne s’agit pas… d’une plaisanterie.

Nous avons visité une exploitation de pommes bio de l’entreprise Chamonate, près de Rancagua. Une fois cueillie, cette pomme devra être acheminée dans une centrale pour être empaquetée, puis elle sera conduite par camion jusqu’au port de Valparaiso, distant de 200 km. Elle naviguera ensuite jusqu’au canal de Panama, à 4750 km de là. Ensuite, cap sur Rotterdam, par la traversée de l’Atlantique en passant l’équateur, pour arriver en Europe. Elle aura effectué 13’750 km dans un énorme cargo, toujours sous réfrigération. De Rotterdam, il lui faudra encore accomplir près de 1000 km pour arriver jusqu’aux étalages de nos supermarchés! Le bilan carbone est catastrophique.

Comment considérer qu’une pomme, cultivée au Chili qui va accomplir un trajet de près de 15’000 km pendant un mois, sous réfrigération constante (près de 0 degrés), peut encore être considérée comme «bio»? Comment concilier de près ou de loin ce type de commerce avec le développement durable, l’urgence climatique, etc. dont se gargarisent nos autorités, voire les dirigeants des grandes surfaces?

En outre, reste le problème du contrôle! Une étude de l’Université catholique de Talca, menée par la Dre Maria Teresa Munoz-Quesada, a mis en évidence que l’on retrouve des substances interdites au Chili dans l’urine d’enfants vivant au cœur d’immenses vergers!

A cela s’ajoute que les pommes bio, cultivées de manière industrielle, sont placées sous le signe de la monoculture! L’entreprise que nous avons visitée est de taille moyenne: 160 hectares. Adieu à la biodiversité.

Et qu’en est-il des conditions de travail dans ce pays, où toute organisation syndicale a été anéantie par près de vingt années de dictature du général Pinochet? Le salaire minimum mensuel est de 446 francs, il peut aller jusqu’à 568 francs avec les primes. Comme nous l’a expliqué une journalière d’une de ces plantations (elles/ils sont 400’000 au Chili), «il est mal vu» de se syndiquer. Un joli euphémisme! J’évoque là le cas des temporaires chilien-ne-s, mais qu’en est-il encore des travailleurs haïtiens récemment débarqués? Leurs conditions de vie sont encore bien pires.

Naturellement ce type de commerce représente une concurrence déloyale pour les producteurs suisses qui ne pourront pas résister à la pression des prix chiliens. Ce qui m’intrigue dans cet accord, c’est la notion de «réciprocité». Car j’ai de la peine à imaginer un vendeur de Tête-de-moine bio ou de miel des Alpes, tenir un stand à la Plaza de Armas de Santiago!

En signant cet accord particulier, il faut songer qu’il s’inscrit dans le cadre plus global des traités qui viennent d’être signés avec le Mercosur. Cette entente avec le Chili préfigure évidemment un traité à venir pour tous les produits chiliens en échange des services bancaires, des pharmas et des pesticides de l’industrie chimique helvétique.

Si la presse européenne évoque régulièrement les scandales alimentaires au Brésil, elle pourra bientôt se tourner vers le Chili où la «recette» pour la production des fruits et légumes passe par la «sauce» Syngenta. Le Chili permet naturellement l’utilisation d’insecticides interdits en Suisse où ils sont fabriqués. Ce qui crée un vaste problème de santé publique – les enfants en particulier étant les premiers touchés. Mais c’est la main sur le cœur que tant le ministre de l’Agriculture chilien, Antony Walker, que Claudio Ramirez, un ingénieur de Syngenta, m’ont affirmé qu’ils utilisaient très peu de pesticides: «le Chili étant comme une île»…

L’auteur est cinéaste, de Genève.

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