Vers une convergence des périmètres d’intervention politique au sein de l’UE
Un des regrets les plus souvent exprimés par les eurodéputés, quelle que soit leur appartenance politique, est le manque d’intérêt des médias – et surtout des médias audiovisuels – pour les débats du Parlement européen. Cette carence explique en partie le peu de connaissance qu’ont les citoyens des institutions et des compétences de l’Union européenne (UE). Faute d’appropriation de ces éléments, il est logique que, pays par pays, ils votent très majoritairement en fonction de questions de politique nationale ou bien qu’ils s’abstiennent. Ce qui s’est effectivement produit. En 2019, en effet, le taux d’abstention pour l’ensemble de l’UE (56,89%) s’est pratiquement situé au même niveau que lors des scrutins précédents: 57% en 2009 et 57,46% en 2014.
Cette stabilité de l’électorat ne doit cependant pas masquer un phénomène nouveau: celui de l’articulation accrue, et ouvertement assumée par la plupart des gouvernements, entre leur propre projet politique et les rapports de force au sein du Parlement européen. Compte tenu de l’élargissement des pouvoirs que chaque nouveau traité européen a conférés à cette assemblée – et même si elle ne dispose toujours pas du droit d’initiative législative –, une telle articulation devrait relever du simple bon sens. Cela n’a pourtant pas été le cas jusqu’ici. Les élections européennes ont surtout servi de sondage grandeur nature permettant de mesurer le même jour tous les cinq ans l’état de l’opinion dans chaque pays membre de l’UE.
Dans les quinquennats à venir, l’importance de cette fonction aura tendance à diminuer (les sondages, malgré leurs limites, sont largement suffisants pour remplir ce rôle) et les scrutins européens et nationaux s’intègreront dans un processus électoral global. Ce processus conduira, d’une part, à une européanisation progressive des contenus des programmes en débat dans chaque pays, et, d’autre part, à son corollaire: une intervention croissante des gouvernements pour faire entrer leurs priorités dans le champ des politiques communautaires.
Au lendemain des élections européennes du mois de mai dernier, un exemple illustre bien ce phénomène, et il nous est fourni par Emmanuel Macron, sans doute le chef d’Etat ou de gouvernement le plus euro-enthousiaste. Dans sa campagne présidentielle de 2017, il avait annoncé son intention de refonder l’UE et il a effectivement été très actif en ce sens avec les autres dirigeants. Il s’est par ailleurs comporté en chef de parti et en stratège électoral pour tenter de transposer au niveau du Parlement européen les restructurations du champ politique qu’il a menées à bien en France autour du clivage factice entre «progressistes» et «nationalistes» censé remplacer l’opposition entre gauche et droite. Les eurodéputés de son parti – La République en marche (LREM) – sont devenus la première force au sein du groupe parlementaire jusqu’alors intitulé Alliance des démocrates et des libéraux pour l’Europe (ADLE) et qui se définissait comme «libéral» et «centriste». Comme la qualification de «libéral» est un épouvantail électoral en France, Emmanuel Macron a obtenu que le groupe s’appelle désormais Renew Europe (RE). Il est présidé par le Roumain Dacian Ciolos. Avec ce groupe, le troisième en importance (108 députés) au sein du Parlement européen, le président français dispose d’un puissant relais à Strasbourg et à Bruxelles.
On assiste ainsi à un début de convergence – ou au moins de coordination – des périmètres d’intervention des acteurs politiques et institutionnels au sein de l’UE. Cette configuration aura au moins le mérite de favoriser la lisibilité des structures communautaires. La question sera de savoir quelles seront les forces capables de s’unir pour «penser» à la fois européen et national.
L’auteur est secrétaire général de Mémoire des luttes, président d’honneur d’Attac. Paru dans www.medelu.com