Le gouvernement de la carpe et du lapin a pris fin mardi à Rome. Le bondissant xénophobe Matteo Salvini et son taiseux comparse Luigi Di Maio auront formé quatorze mois durant un déconcertant attelage gouvernemental, où le ministre de l’Intérieur, minoritaire au sein de la coalition, donnait le la, sous les yeux effarés des citoyennistes des Cinque Stelle (M5S), pourtant première faction du parlement italien.

A force d’agitation populiste, Matteo Salvini se sait désormais porté par près de 40% des intentions de vote. Et entend voler de ses propres ailes, rêvant d’élections anticipées qui lui ouvriraient grandes les portes du Palais Chigi et lui conféreraient cette fois-ci les pleins pouvoirs. Car s’il a su occuper l’espace médiatique, le patron de la Lega est loin d’avoir pu appliquer l’entier de son funeste programme – mélange de mesures ultralibérales comme la Flat Tax et de recul des droits fondamentaux.

Or le temps presse. Laisser des migrants se noyer ne suffit pas à faire une politique, et l’économie italienne bat de l’aile. La fenêtre électorale lui permettant théoriquement de rafler la majorité parlementaire pourrait se refermer d’ici à quelques mois.

En face, les Cinque Stelle sont aux abois. Abandonné par son électorat venu de la gauche, dégoûté par son alliance avec l’extrême droite, le mouvement fondé par Beppe Grillo et Gianroberto Casaleggio serait le grand perdant d’un nouveau scrutin. Au point que, pour éviter les urnes, le M5S serait prêt à faire maintenant gouvernement commun avec le symbole de l’establishment naguère honni, le Parti démocrate, dont les politiques de grands projets et antisociales ont largement contribué à la montée des Cinque Stelle…

Dans ce paysage politique explosé, une absence est criante: celle de la gauche. Pour les progressistes qui avaient misé sur le M5S, l’échec est cuisant. Son discours anti-establishment, dans un pays gangrené par la corruption et les privilèges de la caste politicienne, pouvait séduire des électeurs de gauche orphelins depuis les sabordages de Rifondazione et des Démocrates de gauche. D’autant que des propositions sociales, comme le revenu universel, ou décroissantes, avec l’opposition au train à haute vitesse Lyon-Turin, venaient accompagner une certaine critique des politiques économiques imposées au plan européen.

Mais quelques lignes programmatiques n’ont jamais constitué un projet cohérent. D’autant moins lorsque l’on se proclame, de façon opportuniste, «ni de gauche ni de droite». Quant à la démagogie pro-Internet et le fonctionnement plébiscitaire du M5S, ils ne remplacent pas une vraie structure partisane participative. Mouvement de cadres tirant à hue et à dia, les Cinque Stelle ne pouvaient que se faire dévorer. Même par un lapin, fût-il particulièrement retors!

Au-delà du cas italien, souhaitons que la leçon porte auprès de ceux qui, à gauche, seraient tentés de s’allier, stratégiquement, aux marchands de ressentiments.