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Les folles couleurs de la «Mad Pride»

Le 10 octobre, la Journée mondiale de la santé mentale verra la tenue d’une «Mad Pride» à Genève. L’occasion de dire haut et fort qu’il n’y a pas de honte à devoir faire face à la maladie psychique. Selon les organisateurs: «Chacun a le droit d’être différent et d’en être fier.» La manifestation, inédite en Suisse, se veut festive… loin de la stigmatisation.
Les folles couleurs de la «Mad Pride»
Avec l’objectif d’interpeller et de susciter l’échange, la Mad Pride se veut avant tout un événement festif. Photo: Mad Pride à Cologne, en 2016. SUPERBASS/CC-BY-SA-4.0/WIKIMEDIA COMMONS
Evénement

Les personnes concernées, de près ou de loin, par la maladie psychique vont investir la cité de Genève le 10 octobre prochain, à l’occasion de la Journée mondiale de la santé mentale. Elles défileront dans une Mad Pride organisée conjointement par la Coraasp (Coordination romande des associations d’action pour la santé psychique), qui fête ses vingt ans d’existence, et la Fondation Trajets à Genève, qui souffle ses quarante bougies.

On ne le répétera jamais assez: nous avons tous une santé mentale dont il nous faut prendre soin, et le trouble psychique est un état mental extrême qui empoisonne la vie de ceux et celles qui en sont atteints. Dans la plupart des cas, il est contrôlable par les médicaments et la psychothérapie. Parfois, il nécessite une très longue hospitalisation. Sans oublier qu’un diagnostic de maladie mentale est souvent synonyme d’isolement social et de désert professionnel.

La Mad Pride en pratique

Départ de la «Mad Pride: défilons pour la diversité» le 10 octobre à 16h en principe depuis la gare Cornavin jusqu’à Plainpalais (itinéraire à confirmer). Défilé animé par la compagnie de théâtre itinérant Zanco, suivi par une fête organisée par la Fondation Trajets sur la plaine de Plainpalais (concerts et spectacles, avec Brigitte Rosset). Des ateliers de préparation avec la troupe Zanco sont prévus de 14h à 16h, le 30 septembre à Lausanne et le 3 octobre à Genève (lieux à définir).

Infos: www.coraasp.ch, onglet «Communication», rubrique «Journée mondiale de la santé mentale».

Une parade pour rappeler que l’intégration économique, culturelle et sociale des personnes vivant avec un trouble psychique est un combat au quotidien: «La Mad Pride est une façon différente de placer le sujet ‘santé mentale’ au sein de la société, souligne Stéphanie Romanens-Pythoud, responsable de la communication pour la Coraasp. Nous voulons aussi aller à la rencontre des gens en dédramatisant la maladie, car celle-ci ne concerne pas seulement les patients. Elle nous concerne tous, parce qu’elle fait partie de la société dans laquelle nous vivons. C’est une responsabilité collective et non seulement individuelle. C’est aussi l’occasion pour les personnes concernées de se confronter au regard de la société qui n’est pas forcément celui qu’on imagine. Et la personne concernée a aussi un certain regard sur la société qui est digne d’intérêt.»

Le mouvement de la Mad Pride a vu le jour en 1993, à Toronto (Canada) sous le nom de «Psychiatric Survivor Pride Day», en réponse aux préjugés envers les personnes ayant des antécédents psychiatriques. Elle s’est déroulée chaque année dans cette ville, sauf en 1996. Trois Mad Prides ont eu lieu en France, sans faire le buzz sur les réseaux sociaux. Et la parade du 10 juin 2017 a été annulée pour des raisons de sécurité suite aux attentats: «Les trois éditions de la Mad Pride ont eu un certain impact médiatique, soutient Aude Caria, directrice de Psycom, un organisme public d’information sur la santé mentale à Paris. Rappelons qu’il y a cinq ans (pour la première édition), les réseaux sociaux étaient peu actifs. L’expérience n’a pour l’instant pas été renouvelée. Cela demande un fort investissement, une coordination entre de nombreux acteurs, des moyens et des conditions favorables.»

«Nous voulons avant tout dire que nous existons»

L’Angleterre, le Portugal, l’Australie, l’Irlande, l’Allemagne, le Salvador, le Brésil, l’Afrique du Sud et les Etats-Unis organisent eux aussi leur Mad Pride et attirent chaque année des milliers de participants. Avec cette idée qu’il n’y a pas de honte à être fou: «Cette idée de fierté qu’induit le nom ‘Mad Pride’ reste toutefois un concept qui fait débat, relève Stéphanie Romanens-Pythoud. Si en Angleterre, par exemple, le trait a été beaucoup forcé – avec des gens qui ont défilé en camisole de force, avec des entonnoirs sur la tête et autres accessoires souvent associés à la folie dans nos sociétés –, cela sera beaucoup plus soft chez nous. Nous voulons avant tout dire que nous existons et qu’il faut nous considérer tels que nous sommes, rappeler que chacun peut être un jour ou l’autre atteint dans sa santé mentale. Et, quelle que soit notre situation, nous avons toutes et tous quelque chose à apporter à la société.»

Selon Stéphanie Romanens-Pythoud, les organisateurs espèrent attirer quelque 1000 personnes. Toutes les organisations, institutions et personnes concernées de près ou de loin par la santé mentale, la vulnérabilité, la différence, sont invitées à défiler. «Nous avons fait une première réunion d’information avec les partenaires de Genève, qui a réuni de nombreuses organisations intéressées, et nous allons entreprendre d’autres démarches pour mobiliser du monde dans cette même ville, mais aussi dans le reste de la Suisse romande, en Suisse allemande et en France voisine. Un tel projet demande de gros efforts d’information et de communication. Ce n’est pas facile pour tout le monde de s’afficher dans un tel défilé, de dire au monde qu’on est concerné par la maladie psychique. Il faut beaucoup de courage. C’est d’autant plus vrai en Suisse, où on n’aime pas trop s’afficher. Il y a une forme de pudeur aussi.»

«Toute forme de pride a pour vocation d’être visible. C’est très positif de faire voir à la collectivité quelque chose que la société préfère garder caché», positive Ferdinando Miranda, coordinateur de la Geneva Pride organisée par la communauté LGBT.

Parmi les 1000 personnes attendues à la Mad Pride du 10 octobre, il y aura Patrice, 37 ans, touché par la maladie psychique: «Il est important qu’on puisse se montrer. La Mad Pride s’inscrit parfaitement dans cette Journée mondiale de la santé mentale qui nous est consacrée. Parce que je suis directement concerné, c’est important pour moi de pouvoir témoigner que la maladie psychique est une réalité. Je crains bien évidemment le regard des autres, mais s’il faut vivre prisonnier de la pensée des autres, nous ne pourrons jamais être nous-mêmes. La maladie psychique est un handicap invisible. Derrière l’apparence des personnes soi-disant en bonne santé peut se cacher une grande souffrance psychique.»

Défiler pour la diversité

Pour ses vingt ans, la Coraasp avait envie d’organiser une fête qui corresponde à ses valeurs et qui lui ressemble. C’est ainsi que l’association faîtière a choisi d’organiser la Mad Pride du 10 octobre prochain, avec la Compagnie de théâtre itinérant Zanco.

Une Mad Pride… Mais c’est quoi exactement? C’est un défilé de rue des organisations, personnes concernées, proches, professionnels et sympathisants sur le thème de la santé mentale, dans un esprit similaire à celui des Gay Prides qui ont lieu dans plusieurs villes depuis de nombreuses années. L’idée de cette première édition suisse, organisée en partenariat avec la Fondation Trajets, c’est de «sortir du bois», de susciter l’échange avec la population et de lutter contre la stigmatisation. Le tout d’une manière légère et ludique, car cette marche pour la dignité et la citoyenneté se veut avant tout un événement festif dans la ville.

Courant 2018, plusieurs groupes de réflexion ont été organisés. Une première réunion a eu lieu le 17 mai, au cours de laquelle trois lignes d’action ont été choisies: une action médiatique et politique; un événement fédérateur et un projet artistique commun. La réflexion s’est poursuivie lors du Forum social du 21 juin, toujours en 2018. Les propositions, nombreuses et originales, se sont alors précisées autour de ces trois thématiques. A l’issue de cette journée, chaque personne présente a été invitée à noter pour chaque thématique ses trois propositions favorites.

C’est parmi les suggestions qui ont remporté le plus de suffrages que figurait l’organisation d’une Mad Pride. L’idée a rapidement convaincu l’équipe de la Coraasp, car elle est originale, créative, festive, génératrice d’échanges et de liens, tout en délivrant un message qui lui est cher. Elle colle bien à l’esprit de la Coraasp et a le mérite de réunir les trois axes d’actions que les membres avaient envie d’aborder pour marquer les vingt ans de leur association faîtière.

Le choix du lieu pour organiser cette première Mad Pride s’est porté sur Genève, car plusieurs membres genevois fêtent un anniversaire rond en 2019: Trajets, mais aussi Le Relais (trente ans) et L’Expérience (vingt ans). Si Trajets est le partenaire privilégié de la Coraasp pour cet événement, des collaborations avec les autres associations et institutions actives sur Genève ont également été mises en place. Il s’agira par ailleurs de mobiliser au-delà des cercles de la Coraasp. Car le défi majeur pour le succès de cette Mad Pride sera de réunir le plus possible de participants. STÉPHANIE ROMANENS-PYTHOUD, Coordination romande des associations d’action pour la santé psychique (CORAASP).

Article paru dans Diagonales n° 130.

Article paru sous le tire original «Mad Pride: Différents, et alors?» dans Diagonales n° 130, juillet-août 2019, bimestriel du Groupe d’accueil et d’action psychiatrique, www.graap.ch
Pour en savoir un peu plus sur la Mad Pride en France: www.lamadpride.fr

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