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Crise psychique et contrainte

Si ses formes ont évolué, la contrainte en psychiatrie reste difficile à vivre, pour les patients comme pour les soignants. Malgré une volonté affichée de dialogue de la part institutionnelle, la réalité vécue par les personnes ayant subi ces mesures peut être traumatisante, comme le révèlent des témoignages. La question sera au centre du 30e congrès du GRAAP.
Crise psychique et contrainte
Si le patient accepte d’être hospitalisé dès l’apparition des premiers symptômes, le séjour à l’hôpital ne nécessite généralement pas de mesure de contrainte. Photo: «Close-up», Paris, 2013. FLICKR/CC/THOMAS ANSART
Psychiatrie

Comment faire pour protéger et soigner une personne, malgré son refus? En psychiatrie, le recours à la contrainte peut s’avérer incontournable en cas de crise sévère, pour protéger un patient de lui-même et parfois protéger les autres. Les P(L)AFA (placements à des fins d’assistance)1>En 2016, en Suisse, plus de 14 000 personnes ont été admises sous ce régime dans les institutions psychiatriques. Dans le canton de Vaud, champion suisse des PAFA, les placements sont remis en cause par des parlementaires. en sont la forme la plus connue; ils aboutissent à un séjour en foyer ou en hôpital. La fixation (à un lit, au moyen de sangles, par exemple), l’enfermement dans une unité ou dans une chambre de soins intensifs, la médication forcée, mais aussi l’obligation de porter une tenue d’hôpital, la surveillance rapprochée ou la limitation de l’accès aux médias, au téléphone ou au courrier, constituent d’autres mesures de contrainte qui ne peuvent être envisagées que sous certaines conditions.

«La perception des mesures de contrainte par les patients comme les soignants revêt un aspect subjectif lié en grande partie à la culture institutionnelle, explique le Dr Georges Klein, médecin-chef à l’Hôpital psychiatrique de Malévoz, à Monthey. En Grande-Bretagne, l’attachement est par exemple proscrit et la médication forcée privilégiée, alors que cette dernière est considérée comme extrêmement grave en Allemagne, où elle a même été interdite entre 2011 et 2013.» Ces différences sont liées aux contextes historiques et sociologiques. En Suisse, les pratiques varient également d’un canton à l’autre et d’une institution à l’autre. L’hôpital de Malévoz ne dispose par exemple pas de chambre fermée, mais la chemise d’hôpital est imposée à certains patients, «ce qui peut paraître barbare aux yeux d’autres établissements», reconnaît Georges Klein.

Chercher une alternative

Pour pouvoir être prononcée, une mesure de contrainte doit être documentée et différents points doivent être vérifiés: existe-t-il un risque pour la vie ou l’intégrité de la personne ou d’un tiers? Est-elle incapable de discernement par rapport à la nécessité du traitement? Dispose-t-on d’une autre mesure, moins rigoureuse, adaptée à la situation? Des directives anticipées ont-elles été formulées? Si oui, la mesure les respecte-t-elle? «Aujourd’hui, on ne peut plus justifier des propositions de soins par anticipation ou fantasme, explique le Dr Stéphane Favre, directeur médical ad interim à la Fondation de Nant [institution psychiatrique de l’Est vaudois]. Tout est documenté, en fonction de la clinique, le plus objectivement possible, ce qui est positif, mais a engendré de grands changements au niveau de la documentation des séjours hospitaliers.» L’idée est de remettre en question, d’argumenter, et de voir s’il existe une alternative à la contrainte sur le point d’être décidée. Dans tous les cas, agir dans l’intérêt du patient, en évitant de compromettre la confiance nécessaire à toute thérapie. «Le lien avec le patient est primordial», souligne Stéphane Favre.

Blaise Rochat a été infirmier en psychiatrie puis enseignant durant vingt ans, avant de développer une maladie psychique. En tant que patient, il a fréquenté des établissements aux pratiques différentes et expérimenté l’enfermement en chambre de soins intensifs. Aujourd’hui stabilisé, il a noté qu’au cours de ses délires, les relations avec les soignants lui ont manqué. «Ce n’est pas parce qu’un patient est délirant qu’on peut se passer d’expliquer ses gestes», souligne-t-il. En se basant sur son expérience, Blaise Rochat relève en outre d’autres types de contraintes, inhérentes à la vie en institution, ou encore liées à la maladie elle-même: «J’ai vécu le fait d’entendre des voix comme quelque chose d’imposé de l’extérieur.»

Michel Miazza est infirmier-chef du Service de psychiatrie et de psychothérapie générale de la Fondation de Nant. Il y travaille depuis plus de trente ans et a observé une amélioration par rapport aux mesures de contrainte: «Nous sommes plus attentifs à la proportionnalité et à l’autodétermination du patient, et nous portons une plus grande attention aux proches de la personne malade. Nous veillons à les intégrer, les informer, leur donner des explications.» Pour Stéphane Favre, le développement de la consultation ambulatoire pré- et post-hospitalière permettrait de diminuer l’usage de ce type de mesures, tout comme les directives anticipées et les plans de crise conjoints. «Si le patient accepte d’être hospitalisé plus tôt, dès l’apparition des premiers symptômes, le séjour à l’hôpital est souvent moins long, plus tranquille, et sans mesures de contrainte.»


«Plus de mal que de bien»

Bien qu’elle soit réglementée et censée être utilisée en dernier recours, la contrainte peut être perçue comme traumatisante et contre-productive par les patients. Mélanie* et Georges* ont eu le cran de transcender leurs traumatismes pour raconter leur hospitalisation contre leur gré et leur passage en chambre de soins intensifs. «Aider les autres», «Pour que cela cesse!» C’est en substance ce qui a les conduits à témoigner.

Avec la rage au cœur, Georges, hospitalisé plusieurs fois entre 2012 et 2016, raconte comment il a atterri contre son gré dans un établissement psychiatrique où il devait rester trois jours, mais dont la durée s’est prolongée au-delà de deux mois, sans aucune explication: «J’ai été victime d’un burn-out. Alors que j’étais dans une phase de décompensation, ma mère, ne pouvant pas m’aider, m’a conseillé d’appeler en urgence un psychologue. Après avoir raconté «mon histoire», je me suis retrouvé enfermé. Par la suite, j’ai demandé à partir. En vain. J’ai tenté de fuir à plusieurs reprises. La police m’a rattrapé». Il confie aussi n’avoir pas revu, durant son séjour, la psychologue qui avait sollicité son hospitalisation.

Mélanie, plus calme, évoque son expérience vécue entre fin 2015 et début 2016: «Cela fait longtemps que je suis malade. J’ai confiance en la psychiatrie, elle m’a beaucoup aidée. Je me suis fait interner volontairement dans une clinique privée, avec l’espoir d’être soignée. Ne recevant pas l’aide espérée au cours de l’hospitalisation, j’ai commencé à ressentir de la colère. Un jour, quatre infirmiers m’ont attrapée dans le corridor pour ‘me traîner’ dans une chambre de soins. C’était la première fois que j’y allais. J’ai été déshabillée de force. Je ne voulais pas me soumettre. Après deux jours, j’ai pu sortir. Mais sans que mon état s’améliore.»

Expérience traumatisante

Bien que les contextes de crise dans lesquels s’inscrivent les deux histoires de placement soient différents, les sentiments éprouvés et les termes pour qualifier ce qui a été vécu sont semblables: traumatisme, maltraitance, chantage, incompréhension, ou encore absence de dialogue. Georges refuse que son mal-être soit considéré comme une maladie psychique, il préfère parler d’une souffrance. Mélanie, elle, reconnaît volontiers avoir une maladie du cerveau: «C’est une maladie comme une autre. Les médicaments me font du bien.»

En chambre de soins. «On nous traite comme des animaux», «on mange par terre», «on nous observe aux toilettes et sous la douche», «pas de savon pour se laver», «nu-e sous une blouse d’hôpital»: l’enfermement dans la chambre de soins s’avère pour les deux narrateurs l’expérience la plus traumatisante qu’ils aient vécue dans leur vie. «La contrainte devrait être interdite, elle fait plus de mal que de bien», s’exclament-ils. Dans la pièce, il n’y a ni table, ni chaise, seulement un matelas en mousse posé à même le sol, avec une lumière allumée de jour comme de nuit. A cette contrainte physique d’isolement s’ajoutent d’autres atteintes. D’une part, les injonctions ou les menaces: «Assieds-toi ou calme-toi, sinon on ne te donne pas à manger», «prends tes médicaments, sinon on te les donne de force.» D’autre part, la contention mécanique: «De force, on m’a plaquée à cinq sur le lit. On me tenait alors que je ne me débattais pas.» Mélanie pose la question: qui est fou?

Mesures de contrainte contre-productives

Dans un moment d’extrême fragilité et de détresse, les deux patients déplorent ces conditions de traitement qu’ils considèrent comme de la maltraitance physique et psychique. Mélanie affirme que si elle avait su ce qu’elle allait endurer en chambre de soins, elle n’aurait jamais demandé de l’aide. Georges déclare qu’il a eu l’impression de devenir fou: «Au lieu de m’aider, on m’a laissé couler!»

Les mesures de contrainte, concernant principalement les personnes incapables de discernement, nourrissent un objectif principal: protéger le patient ainsi que les tiers, et préserver la vie communautaire. Georges et Mélanie rétorquent: «On veut protéger qui et pourquoi? On n’est pas un danger! C’est une fois enfermé que l’on devient violent.» Ils ajoutent que c’est l’enfermement qui a aggravé leur état et a renforcé leur haine envers le corps médical. Certains, comme Mélanie, tapent contre les murs ou la porte. D’autres, comme Georges, envahi par une grosse fatigue, lâchent prise et ne protestent pas.

«On ne nous laisse pas le choix», «on ne nous explique rien», «on n’ose plus parler par crainte d’aggraver la situation», «on a besoin d’être écouté, rassuré». Dans un processus thérapeutique, tout le monde s’accorde à dire que le dialogue entre le patient et les soignants est primordial afin de limiter l’anxiété, la peur ou l’incompréhension. La relation implique un partenariat basé sur la confiance et l’écoute. Les malades attendent que le médecin – l’autorité qui sait – leur témoigne de l’intérêt, leur donne la possibilité de s’exprimer, sachant que plus le soignant obtiendra d’informations à leur sujet, plus rapidement il pourra établir un diagnostic, afin qu’ils décident en commun du traitement à suivre.

En cas de désaccord, la justice vaudoise garantit au patient l’information sur ses droits et facilite le dépôt d’un recours ou l’appel à un avocat. Georges raconte avoir fait appel au juge: «Je n’avais aucune chance de sortir, car la psychiatre qui me suivait était celle qui me représentait aussi devant la justice.» Comment se défendre quand on est extrêmement fragile, vulnérable, atteint dans sa santé psychique? Le sentiment d’être seul contre tous, Mélanie et Georges l’ont éprouvé tout au long de leur internement.
A la fin de leur témoignage, ils affirment qu’ils ne supporteront pas d’être enfermés une nouvelle fois dans une chambre de soins. Si le désir de porter plainte pour tort moral taraude leurs esprits, la peur des représailles du corps médical et d’être étiquetés comme «fous», si la justice leur donnait tort, constitue un frein réel. Un processus de blocage très puissant dans ces situations.

SAMANTHA MEDLEY, avec la collaboration de Carole Mock, Diagonales n° 128.

* Prénoms d’emprunt.

Notes[+]

* Article paru dans Diagonales n° 128, mars-avril 2019, bimestriel du Groupe d’accueil et d’action psychiatrique (Graap), www.graap.ch

«Maladies psychiques et contraintes: pour protéger qui?», 30e congrès du Graap-Fondation, 8 et 9 mai, à Lausanne. Programme et inscription.: fondation.graap.ch

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