Banques: déduire les amendes des impôts?
Les sénateurs pensaient avoir trouvé l’œuf de Colomb dans le délicat dossier de la déductibilité fiscale des amendes infligées à l’étranger pour les entreprises suisses. Et patatras! L’amende record infligée tout récemment à l’UBS en France (4,2 milliards de francs) est venue remettre tout en question. Au point que le Conseil des Etats a décidé de renvoyer son projet en commission pour un examen approfondi.
Cela fait pourtant bien des années déjà que ce dossier empoisonne le parlement. Dans la foulée de la crise des subprimes en 2008, la justice américaine s’est penchée sur les pratiques bancaires, infligeant des amendes records à tour de bras. On s’est alors rendu compte que le droit suisse n’était pas clair du tout pour savoir si ces amendes pouvaient être déduites des impôts payés en Suisse (lire ci-dessous).
La morale à préserver
Le Conseil fédéral a fini par soumettre en 2016 un projet au parlement que le Conseil national a passablement assoupli en septembre dernier. La commission du Conseil des Etats a creusé la question en janvier et pensait avoir trouvé la bonne formulation pour autoriser certaines déductions, sans trop esquinter la morale. Selon son idée, une amende infligée à l’étranger serait déductible si elle est contraire à l’ordre public suisse ou si elle frappe un comportement fondé par la bonne foi.
Parmi les cas visés, a expliqué Christian Levrat (ps, FR), celui d’une société qui aurait investi en Iran avec des garanties européennes et qui subirait les foudres des sanctions américaines.
Cela s’appliquerait-il aussi au cas UBS en France? C’est la question qui était sur toutes les lèvres mercredi. Pour rappel, la banque vient d’être condamnée il y a deux semaines par la justice française pour «démarchage bancaire illégal» et «blanchiment aggravé de fraude fiscale».
Elle devrait faire appel contre cette décision. Mais le cas est intéressant parce qu’elle a justement fait valoir pour sa défense sa bonne foi.
Bonne foi en question
Selon le rapporteur de la commission, Martin Schmid (plr, GR), l’amende infligée à l’UBS serait probablement en grande partie déductible si la solution du National s’imposait. Mais très difficile à dire ce qu’il en résulterait si la solution du Conseil des Etats était retenue.
Anita Fetz (ps, BS) a dès lors demandé que le projet soit renvoyé en commission pour clarifier les choses et préciser ce concept de la bonne foi. Cela permettra aussi, selon elle, de consulter les cantons pour voir dans quelle mesure ce nouveau droit sera applicable.
Son président de parti, Christian Levrat, est venu la soutenir: «La réglementation que nous discutons aujourd’hui nous conduirait à répéter en Suisse, devant les autorités fiscales, le jugement du cas principal qui est traité en France.»
«Cela ouvre la porte à un double procès dans un certain nombre de cas» Robert Cramer
Autrement dit, après des années de procédure pénale en France, on se retrouverait à réexaminer le cas en Suisse sur le plan fiscal pendant des années aussi. Et le Fribourgeois de rappeler que la formulation choisie visait à protéger «des entreprises qui se retrouveraient confrontées à des situations spécialement iniques».
Ruedi Noser (plr, ZH), lui, s’est opposé à ce renvoi, le cas UBS lui paraissant clair: soit la banque arrive à faire valoir sa bonne foi en France et elle sera disculpée, soit elle n’y arrive pas et ne pourra s’en prévaloir en Suisse pour obtenir une déduction fiscale. Le seul cas où il y aurait une marge d’interprétation en Suisse est si une instance internationale rendait un autre avis que la justice française. Autre libéral-radical, Andrea Caroni (AI) n’est pas aussi catégorique, mais selon lui la question pourra être approfondie par le Conseil national.
Soutenant le renvoi en commission, Robert Cramer (verts, GE) craint qu’on ait commis une erreur en «braquant le projecteur sur les règles de la bonne foi, car cela ne clarifie pas la situation et ouvre probablement la porte à un double procès dans un certain nombre de cas». Le Genevois se demande dès lors «s’il n’y aurait pas lieu de simplifier l’exercice en se bornant à citer l’ordre public suisse».
On est loin d’en avoir fini
Le conseiller fédéral Ueli Maurer a probablement fait pencher la balance en appuyant, lui aussi, le renvoi en commission. Le ministre UDC a argué que cela laisserait le temps de consulter les cantons.
Au vote, le renvoi en commission a été accepté par 21 voix contre 18 et 1 abstention. Ce dossier va donc encore occuper le parlement pendant un bon bout de temps et, pour sûr, le cas de l’UBS va continuer à alimenter le débat. LA LIBERTÉ