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Bernard Clerc livre son opinion sur la politique de la Banque centrale européenne.
(Re)penser l'économie

La Banque centrale européenne (BCE) a annoncé à la fin de l’année 2018 qu’elle mettait fin à ses rachats de dettes publiques et privées détenues par les banques. En revanche, elle maintient un taux zéro ou à 0,25% pour des refinancements sollicités par les établissements bancaires et elle a reconduit un taux négatif de – 0,4% pour les dépôts de liquidités effectués par ces mêmes établissements. L’instauration d’une politique de rachat de dettes, instaurée en 2015, a conduit la BCE à accumuler la bagatelle de 2600 milliards d’euros dans son bilan. Par comparaison, en 2017, le PIB des 19 pays de la zone euro s’est élevé à 10 800 milliards d’euros.

Ces mesures ont pour but annoncé de favoriser le retour de la croissance après la crise de 2008 qui a vu de nombreux établissements bancaires sauvés par les Etats. Afin d’inciter les banques à prêter davantage aux entreprises pour que celles-ci investissent, la BCE est venue les soulager d’obligations ou d’autres actifs plus ou moins douteux. De cette manière, les liquidités qu’elles ont reçues en échange étaient censées être réinvesties dans l’économie. Le taux négatif – pratiqué également par la Banque nationale suisse à hauteur de – 0,75% – a pour objectif d’empêcher que les liquidités excédentaires des banques ne viennent s’entreposer auprès de la banque centrale au lieu de s’investir dans l’économie. Relevons au passage que cette politique ne correspond pas particulièrement aux dogmes néolibéraux qui consistent à laisser jouer les forces du marché. Une fois de plus, on soulage les banques avec l’espoir qu’elles seront vertueuses et soutiendront la production de richesses pour le bien de tous…

Pour que ces mesures soient efficaces, il faut d’abord que les entreprises veuillent investir, car dans le cas contraire elles ne vont pas solliciter des prêts. Or, le propre d’une situation de baisse de la croissance, c’est de créer de l’incertitude sur les perspectives de réaliser des ventes et des profits. Les taux bas profitent donc aux entreprises qui, de toute manière, ont choisi d’investir et ne déclenchent que de manière limitée de nouveaux investissements. Principalement, les taux bas favorisent l’investissement dans l’immobilier et contribuent à la hausse des prix dans ce secteur économique. Quant aux banques qui se retrouvent avec des excès de liquidités, à la suite des rachats d’actifs, elles ont tout intérêt, si elles ne voient pas de possibilités d’investissements rentables, à investir pour leur propre compte: ou dans des produits financiers à haut rendement, ou bien dans des obligations d’Etats dont les déficits publics se sont creusés en raison des baisses d’impôts et de hausses des charges dues à une croissance économique ralentie.

La crise de 2008 a montré que la paralysie du système bancaire pouvait conduire à une crise majeure. Les Etats ont donc fait le choix de sauver les banques en difficultés. La politique de rachat d’actifs, mise en œuvre également aux Etats-Unis et dans bien d’autre pays, a fait gonfler le bilan des banques centrales et augmenter de manière démesurée les liquidités à disposition des banques. Ce processus favorise la spéculation, non seulement dans l’immobilier, mais également sur le marché des actions et dans la bourse en général. En effet, une masse toujours plus considérable de capitaux sont à la recherche de rendements qu’ils ne parviennent pas à satisfaire dans la croissance réelle de l’économie1>Lire sur ce sujet l’ouvrage de Ernst Lohoff et Norbert Trenkle, La Grande dévalorisation, Post-Editions, 2014..

Les résultats de cette politique, sans parler du regain de guerre commerciale entre les Etats, constituent les bases et les ingrédients pour une nouvelle crise économique majeure à laquelle les Etats et les Banques centrales seront confrontés avec des moyens nécessairement limités en raison de leurs engagements de ces dix dernières années.

Notes[+]

Bernard Clerc est membre de SolidaritéS et ancien député.

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lundi 8 janvier 2018

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