«César et le Rhône» au Musée d’art et d’histoire
Le Musée d’art et d’histoire (MAH) a verni le 7 février «l’exposition phare de 2019» (Journal des Musées). L’histoire du buste qui tient la vedette de l’exposition est emblématique de notre époque. Présenté au moment de la découverte comme un buste de César – le seul exécuté de son vivant parvenu jusqu’à nous – il permit d’attirer les feux de la rampe sur des fouilles menées à Arles dans le Rhône. Le grand public et les autorités se passionnent du coup pour ces fouilles mettant au jour une barge utilisée comme dépotoir, avec sa cargaison d’une valeur inestimable pour la recherche.
Le prétendu César eut même l’honneur de faire le voyage de la capitale, suprême consécration qui hâta sa déchéance. Genève était alors bien trop petite pour accueillir une suggestion que je m’étais permis de faire à Claude Sintes, responsable des fouilles et directeur du Musée d’Arles antique, que «César remonte le Rhône jusqu’à Genève», comme il l’avait fait en 58 av. J.-C. Eviter Genève ne le mit pas à l’abri de l’œil de l’archéologue de notre Alma Mater. Lorenz Baumer – avec une sévérité scientifique bien helvétique – démonta les ambitions du buste récemment découvert.
Cela alimenta des discussions: ce que le buste perdait en aura, il le gagnait en popularité. Comme nous le disait l’archéologue d’Arles, des savants, et non les moindres, sont toujours convaincus qu’il s’agit bien de César. Le directeur du MAH n’avait pas plus tôt fini de dire, salomonique: «Tous ne sont peut-être pas d’accord que c’est César, mais ce soir nous pouvons dire que c’est lui», qu’un membre assidu de l’Association Hellas et Roma, devant le buste, s’exclamait: «C’est comme ça que j’ai toujours vu César dans les livres d’école.»
Au fond, peu importe désormais, la réputation du buste est telle que, César ou sosie, les gens viendront le voir. Le voyage de Genève, devenu souhaitable après la déconfiture parisienne, est donc une excellente opération. Aussi pour Genève, car le buste est venu avec une suite impressionnante d’objets tirés du Rhône, ou trouvés à Arles au fil des siècles – à commencer par la Vénus d’Arles réquisitionnée par Louis XIV pour son parc de Versailles. Remercions, en l’occurrence, la complicité de deux vieux compères, Claude Sintes et le directeur sortant du MAH: Genève, après avoir contribué indirectement à démasquer la création d’un mythe, a ainsi fait œuvre de réparation en mettant en valeur un patrimoine au grand potentiel. Comme le rappelait Jacques Chamay, l’étude de la stratigraphie de la barge-dépotoir est encore à ses débuts, mais elle a déjà commencé à faire bouger les certitudes les mieux établies en archéologie.
Chapeau aux équipes qui ont monté l’exposition. Du jamais vu: même les monnaies sont visibles et intégrées à la démarche. Présentant des portraits de César datés, elles sont parmi les pièces les plus importantes, dans «César et le Rhône».
Jusqu’au 26 mai 2019. Lire également S. Schellenberg, «Visite impériale au MAH», dans notre édition du 15 février.