Tarpsy: des patients poussés à la porte?
Tarpsy est un système complexe. Il institue une nouvelle manière de tarifer les hospitalisations en psychiatrie: désormais, les forfaits sont liés aux prestations, par opposition aux forfaits journaliers en vigueur auparavant. Ce nouveau dispositif tarifaire ne concerne que le domaine stationnaire (les séjours hospitaliers comportant au moins une nuit) et non le domaine ambulatoire. Lorsqu’un patient est admis à l’hôpital psychiatrique, le médecin pose un diagnostic. En fonction de ce dernier, mais aussi de l’âge et du degré de sévérité de la maladie, le patient sera classé dans un groupe de coûts psychiatriques (il y en a 22 en tout).
Pour chacun de ces groupes, Tarpsy introduit une échelle dégressive: si l’hospitalisation est courte, l’hôpital touche une rémunération journalière plus importante que si l’hospitalisation est longue. Pour une même durée de séjour, la rémunération sera plus ou moins importante selon le groupe de coûts psychiatriques attribué au patient. Le système qui prévalait jusqu’à fin 2017 était plus simple: les traitements psychiatriques étaient rémunérés sur la base de forfaits journaliers, indépendamment des diagnostics des patients.
Conséquence: il arrive un moment où l’hôpital perd de l’argent en gardant un patient trop longtemps. On peut donc craindre que certains patients soient forcés de quitter l’hôpital avant d’être rétablis. Grégoire Gogniat, porte-parole à l’Office fédéral de la santé publique (OFSP), écarte cette crainte. Il explique que Tarpsy a été élaboré de manière à refléter les coûts pour chaque phase de traitement.
Pendant plusieurs années, les hôpitaux ont récolté des données très précises pour modéliser ces coûts et calibrer le système. «Pour cette raison, dit-il, on ne part pas de l’idée que les patients pourraient systématiquement être libérés plus tôt que ce qu’exige leur traitement.» Le nouveau système présente un avantage clair par rapport aux anciens tarifs journaliers, selon le porte-parole de l’OFSP: «Il n’y a plus d’incitations à hospitaliser les patients plus longtemps que nécessaire du point de vue médical.»
Le risque financier transféré vers les hôpitaux
Isabelle Gothuey, psychiatre et directrice du RFSM (Réseau fribourgeois de santé mentale), se veut aussi rassurante. «Pour la majorité des patients, Tarpsy n’aura probablement pas d’impact sur la durée de leur séjour à l’hôpital», estime-t-elle. Par contre, d’après elle, une frange de patients vulnérables, qui restent très longtemps à l’hôpital, risquent de souffrir du nouveau tarif. Il s’agit de personnes précarisées qui ont souvent tout perdu, y compris leur logement. Dans bien des cas, ces personnes sont placées contre leur gré en milieu hospitalier, en attendant de trouver un lieu d’hébergement plus adapté. Pour sortir de l’hôpital dans de bonnes conditions, ces patients ont besoin de reconstruire leur environnement psychosocial. Sinon, ils se retrouvent dans la rue avec une nouvelle décompensation à la clé et un retour à la case hôpital. La psychiatre fribourgeoise se dit très inquiète pour cette catégorie de patients qui occupent environ 10% des lits d’hôpitaux.
Face à cette inquiétude, Nelly Perey, membre du Graap-Association, reste quant à elle optimiste. Elle espère que Tarpsy servira d’incitation à créer plus de lieux d’hébergement adaptés.
Un autre point problématique de la nouvelle tarification est la question du délai entre deux hospitalisations. Si une seconde hospitalisation a lieu dans les 18 jours suivant la première, les coûts des deux séjours seront alors facturés comme s’il s’agissait d’un seul cas. Au-delà de 18 jours, la réhospitalisation compte comme une nouvelle entrée et le tarif repart en haut de l’échelle. En raison de la dégressivité de ce tarif, l’hôpital est mieux rémunéré lorsque une nouvelle admission survient après plus de 18 jours.
Pour Isabelle Gothuey, cette règle n’est pas adaptée à la psychiatrie et constitue un défaut important du nouveau système. Elle explique qu’une réhospitalisation dans les 18 jours représente une perte financière pour l’hôpital.
Ce sont en effet les premiers jours d’hospitalisation qui coûtent le plus cher, notamment à cause des formalités d’admission. Elle ajoute qu’un dixième des patients sont réhospitalisés assez rapidement après leur sortie. Il s’agit souvent de personnes qui sont en refus de soins ou qui ont une grande méfiance par rapport au dispositif institutionnel. Le système de sorties et de retours permet alors de travailler sur l’engagement dans les soins. Parfois, le psychiatre se dit: «Mon patient n’est pas tout à fait guéri, mais si on veut qu’il soit plus demandeur de soins, il faut peut-être qu’on le laisse sortir pour qu’il puisse revenir sur un mode où il ressent le besoin de soins.»
Doit-on craindre que les hôpitaux renoncent à réhospitaliser leurs patients dans les 18 premiers jours? Grégoire Gogniat répond: «Le délai de 18 jours ne signifie pas que toute nouvelle hospitalisation est interdite avant la fin de cette échéance. Un patient peut bien sûr être hospitalisé à tout moment pour des raisons médicales.»
Un autre défaut du système, selon la psychiatre Isabelle Gothuey, concerne les congés pendant l’hospitalisation. Avec Tarpsy, lorsqu’un patient quitte l’hôpital pour passer un ou deux jours à la maison, l’établissement ne reçoit plus aucune rémunération, alors que le lit reste réservé et que l’hôpital reste à la disposition du patient pendant ce congé. Avec l’ancien système, en revanche, l’établissement de soins était également payé pour les jours de congé.
La psychiatrie ne représente que 5% des coûts de la santé
Cela risque d’avoir pour effet de limiter drastiquement les congés. Pour la Dre Gothuey, cette règle est absurde, car les patients ont besoin de pouvoir sortir de l’hôpital de temps en temps, et les congés sont aussi une manière de préparer la sortie définitive. Des propos corroborés par Nelly Perey. Elle se rappelle sa dernière hospitalisation: «La sortie d’hôpital a été préparée très progressivement, avec des séjours réguliers à domicile: c’est ça qui m’a aidée à bien me rétablir et quitter l’hôpital dans de bonnes conditions.»
La structure tarifaire Tarpsy vise-t-elle à réaliser des économies dans les coûts de la santé? Tant Grégoire Gogniat qu’Isabelle Gothuey répondent par la négative. Le premier affirme que l’objectif de Tarpsy est de mieux maîtriser les coûts. En effet, affirme-t-il, «cette nouvelle structure tarifaire permet d’instaurer plus de transparence au niveau des coûts des prestations psychiatriques stationnaires.» Pour la seconde, Tarpsy ne vise pas des restrictions mais pousse à plus d’efficience, le but étant de contenir les coûts.
La nouvelle structure tarifaire provoque un transfert du risque financier de l’Etat et des assurances maladies vers les prestataires, c’est-à-dire les hôpitaux. Elle ajoute: «Le système pousse l’hôpital à regarder ce qu’il coûte et comment il couvre ses coûts.»
Tarpsy découle d’une exigence légale inscrite dans la LAMal depuis sa révision de 2009. Néanmoins, Isabelle Gothuey émet un doute sur la nécessité réelle d’introduire ce système: «On n’avait pas tellement besoin de changer de modèle tarifaire en psychiatrie, parce que l’institution psychiatrique ne coûte pas très cher en soi.»
En effet, la psychiatrie ne correspond qu’à 5% des coûts de la santé, ce qui est relativement marginal. Elle ajoute que les soins psychiatriques ne représentent qu’une faible partie des coûts de la maladie psychique pour la société. Une personne avec un handicap psychique peut en effet ne plus avoir le même niveau d’autonomie. Elle peut aussi être moins productive sur le plan professionnel et ne plus contribuer autant à la création de richesses et à l’économie dans la société.
Pour les hospitalisations somatiques aiguës, un système analogue, le Swiss-DRG, a été introduit en 2012 déjà, trois ans après la révision de la LAMal. On peut se demander pourquoi l’introduction de Tarpsy a pris autant de temps. Selon Grégoire Gogniat, il est plus difficile d’élaborer un catalogue de prestations pour les soins psychiatriques que pour les soins somatiques aigus. En effet, dit-il, «il est plus facile de calculer le coût d’une appendicectomie que celui du traitement d’une dépression».
Isabelle Gothuey abonde dans ce sens: «Le système SwissDRG n’était pas adapté pour se plaquer comme ça aux maladies psychiatriques, essentiellement parce que le diagnostic en psychiatrie n’est pas prédictif du coût.» Lorsqu’on pose un diagnostic de schizophrénie, par exemple, on ne sait pas si l’hospitalisation va durer quatre ou six semaines, ni si la maladie va être complexe avec une difficulté d’engagement dans les soins, des rechutes et des réhospitalisations. Le porte-parole de l’OFSP ajoute que, contrairement aux soins somatiques aigus, il n’a pas été possible pour Tarpsy de s’appuyer sur des structures tarifaires existantes à l’étranger.
Jusqu’à présent, nous n’avons parlé que de Tarpsy 1.0, la version initiale du tarif en vigueur depuis début 2018. Il convient de savoir que Tarpsy est un système évolutif, qui s’adapte en fonction des données collectées. La version 2.0, applicable en 2019, est désormais disponible.
Isabelle Gothuey affirme que les versions successives de Tarpsy permettront de corriger les défauts de naissance du système. Cela nécessitera chaque année d’intenses discussions entre H+, la faîtière des hôpitaux suisses, et les assureurs. Si, pour la psychiatre fribourgeoise, Tarpsy 1.0 ne pose pas de problème en ce qui concerne la durée moyenne de séjour, elle se dit inquiète pour le futur: «A terme, on risque d’avoir une pression sur la durée moyenne de séjour.» Il faudra donc garder l’œil ouvert ces prochaines années.
Paru sous le titre original «Tarpsy: un nouveau système tarifaire en psychiatrie» dans Diagonales n° 126, nov-déc 2018, bimestriel du Groupe d’accueil et d’action psychiatrique (Graap), www.graap.ch