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Le budget, un instrument politique

Est-ce que le budget sensible au genre et le budget participatif sont des nouveautés? En Suisse romande, on pourrait le croire… Eclairage.
Villes

Genève a démarré cette année une démarche spécifique pour un budget sensible au genre. Lausanne va mettre en place sa vision du budget participatif dans le cadre de la politique des quartiers (lire en page 4). Ces différentes idées ont presque un demi-siècle et viennent du monde du développement. Ainsi le budget sensible au genre, au même titre que l’empowerment et l’approche différenciée selon les sexes, a été promu par l’ONU en 1995 lors de la Conférence mondiale sur les femmes organisée à Pékin. Le Conseil de l’Europe recommande ce type de budget depuis 2009 et quantité de villes européennes pratiquent cette manière de faire. L’Autriche, la Belgique et l’Espagne ont des lois qui imposent la prise en compte des aspects de genre. Depuis 2014, en France, les villes de plus de 20 000 habitant-e-s doivent débattre dans la procédure budgétaire des actions en faveur de l’égalité.

Les exemples européens montrent que la grande majorité des investissements publics dépensés pour les loisirs ou le sport bénéficient plutôt aux hommes. Le budget genré permet de révéler ces inégalités. Un autre exemple est que si les académies de musique de Vienne sont fréquentées principalement par des filles, les garçons bénéficient de plus de fonds car ils jouent d’instruments plus coûteux.

Matérialiser des priorités

Les budgets ne sont pas uniquement des instruments techniques au service d’une administration «neutre» des ressources. Ils représentent surtout et avant tout des outils politiques en ce qu’ils traduisent des options, des orientations et des priorités qu’ils participent à matérialiser.

Les budgets ne sont donc pas neutres. Ils ont, par exemple, des conséquences différentes pour les femmes et les hommes car ils s’ancrent dans les rapports sociaux de force et de pouvoir qui structurent les interactions sociales femmes-hommes (disparités économiques, conditions de vie différentes, attribution différenciée des rôles sociaux, entre autres) et en amplifient les effets vécus. En rendant ainsi ces processus sensibles à la sexospécificité des expériences sociales, symboliques, économiques, politiques, etc., les budgets qui en découlent peuvent être construits comme des instruments de renforcement de l’égalité entre les femmes et les hommes, car ils seront plus à même de tenir compte des besoins et des contributions spécifiques des femmes et hommes, censé-e-s être les bénéficiaires des actions publiques et/ou privées. La budgétisation sensible au genre est ainsi une approche qui vise à faciliter la cohérence entre la planification d’activités économiques, publiques ou privées, ayant des objectifs d’équité et d’égalité entre les sexes, et leur budgétisation.

Les budgets participatifs?

En la matière, la diversité des approches est très grande. L’exemple typique est celui de la ville brésilienne de Porto Alegre qui a introduit en 1987, sous l’impulsion du Parti des travailleurs, un budget participatif. C’était un moyen de répondre au désengagement de l’Etat. Très schématiquement, une délégation citoyenne détermine les priorités d’investissement par quartier et fait des propositions aux élu-e-s. Dans la région de Porto Alegre, cela a permis notamment une régularisation des titres de propriété foncière et la construction de nouvelles habitations. Cette expérience aura duré jusqu’au début des années 2000.

En Suisse, la Ville de Lausanne va allouer un budget participatif pour sa politique des quartiers pour une période pilote. Sous forme d’appel à projets, les résident-e-s choisiront les projets à soutenir et les montants alloués dans le cadre d’une enveloppe donnée.

Ces expériences prennent tout leur sens au niveau communal. Toutefois issu du domaine du développement, le fonctionnement de type «boîte à outils» tend à dépolitiser et à annuler le potentiel d’approfondissement démocratique de ces mécanismes.

Article paru dans Pages de gauche n° 170, hiver 2018-2019, dossier: «Qu’est-ce qu’une ville de gauche?», pagesdegauche.ch

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