Suisse

L’obligation d’annonce jugée inefficace

Des entreprises, forcées de passer par les services du chômage depuis juillet, dressent un bilan mitigé.
L'obligation d'annonce jugée inefficace
Dans l'horlogerie, l'obligation d'annonce aux ORP n'est pas très efficace. KEYSTONE
Chômage

Voilà bientôt six mois que les recruteurs s’y soumettent de bonne grâce. Ils communiquent leur offre d’emploi, en primeur, aux services du chômage et attendent 5 jours ouvrables avant de publier l’annonce sur leur site internet ou toute autre plateforme. Ces recruteurs, ce sont les hôteliers, les restaurateurs, les agriculteurs, les groupes horlogers, et tous les patrons qui embauchent dans des professions plombées par 8% de chômage au moins. Un seuil qui sera abaissé à 5% en 2020.

Cette «obligation d’annonce» introduite le 1er juillet a eu un effet immédiat, salue le Secrétariat d’Etat à l’économie (SECO): Le nombre de postes soumis aux offices régionaux de placement (ORP) a quasiment doublé, passant de 16 854 en juin à 30 004 en juillet. Le nombre d’offres publiées a même connu un pic en août, à 36 410, avant de se tasser légèrement. Sans conteste, la mesure a permis d’accroître la communication entre les ORP et les entreprises. «Nous avons une meilleure collaboration», se réjouit Annalisa Job, porte-parole d’Adecco. Tous les employeurs interrogés jugent la charge de travail soutenable. L’outil proposé par la Confédération – le site www.job-room.ch – est «facile d’utilisation» et les ORP réagissent rapidement.

«Le marché du travail devient de plus en plus transparent» Fabien Maienfisch

Voilà pour le positif. Le hic? Quasiment toutes les entreprises sondées doutent de l’efficacité de la mesure (voir ci-contre). Le nombre de personnes recrutées par ce biais demeure très bas. «Au final, cette mesure reporte juste notre recrutement d’une semaine», constatent-elles. Le SECO, quant à lui, ne dispose pas encore de chiffres.

L’origine de cette mesure, rappelons-le, remonte à février 2014, quand 50,3% des Suisses approuvent l’initiative contre l’immigration de masse. Le parlement bricole une loi d’application moins contraignante, pour soulager l’économie et sauver l’Accord sur la libre circulation des personnes. Il n’est plus question de quota, mais de «préférence indigène». Les employeurs sont appelés à donner leur chance aux chômeurs résidents. Mais ils n’ont pas l’obligation de les recruter ni même de donner un feed-back aux ORP.

Une mesure inefficace? Interpellés, les ORP renvoient au SECO, «seul habilité à tirer un bilan». «L’augmentation du nombre d’annonces permet de rendre le marché du travail plus transparent et de réduire l’ampleur du marché gris», répond son porte-parole, Fabian Maienfisch. Le premier monitoring officiel est attendu pour l’automne 2019. LA LIBERTÉ

Horlogerie: des métiers disparus

La liste des professions concernées doit être nettoyée.

La Convention patronale de l’industrie horlogère a sondé cet automne ses membres sur l’obligation d’annonce. «Aucune entreprise ne s’est plainte. Seul constat: c’est une lourdeur administrative… pour un faible résultat. Quasiment aucun profil recherché n’est trouvé grâce aux ORP», résume François Matile, secrétaire général de la faîtière.

Sur 50 000 emplois dans la branche, quelque 7200 tombent dans la catégorie «autres professions de l’horlogerie», soumise à l’obligation d’annonce. «Un «fous-y tout» qui représente moins de 15% des employés», précise-t-il. Pas de quoi chambouler le travail des recruteurs. Le détail de la liste les a néanmoins plongés dans la perplexité: «C’est un voyage dans le temps. Il y a des métiers comme monteur de boîte ou de ressorts, qui ont totalement disparu. Autant écrire fabricants de calèche!» La Convention patronale a repéré d’autres étrangetés. «Une formation créée il y a 6 ans et qui compte à peine 50 diplômés se retrouve sur cette liste car la statistique recense 177 chômeurs. C’est tout simplement impossible!» Les autorités promettent de la nettoyer: «L’Office fédéral de la statistique, avec le soutien du SECO, procède actuellement à la révision de la nomenclature professionnelle, en collaboration avec les associations professionnelles.» SH


Hôtellerie: à peine 10% par les ORP

Les groupes peinent à repourvoir les postes avec les dossiers proposés.

Quasiment toutes les professions de l’hôtellerie sont concernées. «J’annonce en moyenne un poste par semaine à l’ORP», précise Ludivine Corminbœuf, responsable RH du groupe By Fassbind à Lausanne. La rotation du personnel est élevée: «Ce sont des étudiants et des jeunes saisonniers que rien ne retient. S’ils décident de partir, il faut les remplacer au pied levé. Ce qui est peu pratique avec le délai de 5 jours», souligne-t-elle. L’ORP lui envoie entre 3 et 6 dossiers par annonce. «La plupart du temps, les dossiers ne répondent pas au profil recherché», regrette-t-elle. Même constat de la part des groupes Manotel à Genève, et AccorHotels (qui détient des enseignes Ibis à Fribourg notamment). Chez Accor, 10% des postes en moyenne ont été repourvus grâce à cette mesure. Chez Manotel: 2 sur 30.

Dans la branche, les horaires sont irréguliers et les salaires peu attrayants. Ceux qui sont prêts à travailler à ces conditions n’ont pas de peine à trouver un emploi, souligne Ludivine Corminbœuf: «Un cuisinier trouve un job en moins d’une semaine!» Mais ceux au chômage ont souvent d’autres aspirations. «Nous avons de la peine à trouver des femmes de chambre, renchérit Jean-François Colloud, DRH de Manotel. Les chômeuses, âgées, sont usées par ce métier pénible. Elles devraient pouvoir se réorienter.» SH

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Un cuisinier trouve un job en moins d’une semaine. KEYSTONE

Agriculture: inadapté au travail saisonnier

Quand les producteurs de fruits recrutent, les chômeurs se font rares.

Seuls les professions peu qualifiées, dans les cultures fruitières et les élevages notamment, sont touchées par l’obligation d’annonce (les maraîchers, gros employeurs de main-d’œuvre étrangère, y échappent par exemple). Benoît Moret, producteur de fruits à Martigny, a engagé 5 personnes depuis le 1er juillet pour son équipe d’été. «J’ai juste envoyé un mail à l’ORP pour annoncer les postes d’auxiliaires de récolte. Deux candidats m’ont rappelé, mais ils n’avaient pas de véhicule ou pas d’intérêt. Après cinq jours, j’ai pu demander à la commune des permis pour des travailleurs polonais et portugais.»

Ses besoins de personnel fluctuent avec les saisons: «L’été, il n’y a pas un auxiliaire agricole au chômage! En hiver, certains me demandent un timbre pour toucher les allocations. L’intention est bonne, mais cette mesure ne me semble pas adaptée à notre travail saisonnier», soupire-t-il. L’Union suisse des paysans (USP) a, à plusieurs reprises, attiré l’attention des autorités sur ce problème. Sans succès. Pour sa part, Agrimpuls, une division de l’USP, a communiqué cette année plus de 200 offres d’emploi à différents ORP (alémaniques surtout). «Aucun contrat n’a été conclu par ce biais, constate sa directrice Monika Schatzmann. Et nous avons les mêmes retours d’autres associations.» SH

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Seules les professions peu qualifiées sont touchées par l’obligation d’annonce. KEYSTONE

Comédien: le choix artistique prime

La société de production respecte la mesure, non sans quelques doutes.

C’est un «petit milieu» – avec 1324 acteurs actifs enregistrés dans le pays – touché de plein fouet par la mesure. Tous les théâtres, les boîtes de production et lescompagnies qui engagent des comédiens sont obligés de s’adresser au chômage.

La société PointProd à Genève, qui a réalisé la série Quartier des banques, (diffusée sur la RTS en 2017), en fait actuellement l’expérience, avec la préparation du second opus. La responsable des ressources humaines, Béatrice Lostebiends, a fait une annonce générale et groupée à l’Office cantonal de l’emploi (OCE) à Genève, sans donner le descriptif de chaque rôle. «J’ai reçu plus d’une quinzaine d’offres. J’ai du tri à faire avant de les passer à la directrice de casting. Il y a de tout: j’ai reçu de l’OCE une candidature anonymisée d’une actrice, sans âge, ni photo, ni filmographie», illustre-t-elle.

La directrice de casting, Mariângela Tresch, ne s’attend pas à des miracles: «Je connais toutes les écoles de théâtre et les comédiens romands. Selon le profil recherché, je les appelle personnellement. Je travaille aussi avec les réseaux sociaux, ainsi que le site internet des professionnels, comédien.ch. Je reçois volontiers les candidatures de l’OCE, mais je crains que cette mesure s’applique mal à notre secteur. Mon choix sera artistique avant tout.» SH

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Le secteur du spectacle est trop atypique pour la nouvelle mesure. KEYSTONE
Suisse Sandrine Hochstrasser Chômage

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