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Abus à l’école: «protéger, enfin, les victimes»

Les conclusions du rapport sur les abus commis en milieu scolaire préoccupent le Comité contre le harcèlement sexuel. Ce dernier déplore l’absence de sanctions réelles à l’encontre des enseignants.
Genève

La publication du rapport1>Rapport rédigé par des experts indépendants, remis le 31 octobre dernier au Conseil d’Etat: www.ge.ch/document/rapport-enquete-abus-ecoles/ d’enquête et d’analyse, remis au Conseil d’Etat, relatif au fonctionnement du DIP quant au traitement des atteintes à l’intégrité sexuelle subies par des élèves de la part d´enseignants , suscite des réflexions de la part du comité contre le harcèlement sexuel. Le rapport, qui relève des faits «accablants», conclut néanmoins à des manquements et ne retient pas le terme de dysfonctionnement, étant donné qu’aucun règlement administratif ne stipule l’interdiction des relations sexuelles entre profs et élèves, même si ces dernières sont mineures.

Pourtant, les articles 187 et 188 du Code Pénal condamnent clairement ces situations d’atteinte à l’intégrité sexuelle sur mineurs et personnes dépendantes. En clair, le comportement de l’enseignant qui porte atteinte à l’intégrité sexuelle d’une élève, la harcèle par des messages déplacés, lui propose des rapports contre de meilleures notes, porte atteinte à sa pudeur de quelque façon que ce soit, est constitutif d’une infraction pénale dont la peine peut aller jusqu’à 5 ans de réclusion. Ainsi, lorsque l’on constate à la lecture du rapport que des enseignants ont été simplement «blâmés» (par exemple, salaire non augmenté), parce que ni la victime ni les collaborateurs du DIP n’ont dénoncé les infractions pénales à la police, force est de constater que s’abriter derrière une lacune administrative n’est pas cohérent et tend à protéger les prédateurs et harceleurs. De plus, l’article 33 de la Loi d’application du Code Pénal prévoit expressément une obligation pour chaque collaborateur (enseignants, doyens, conseillères sociales, etc.) du DIP de dénoncer ces faits. Il ne s’agit pas d’une invitation mais d’une obligation pénale. Nous ne pouvons donc souscrire à l’analyse selon laquelle aucun dysfonctionnement n’est retenu faute de «directives» administratives.

Fallait-il que l’école dispose d’un règlement pour faire toute la lumière sur des affaires qui parvenaient très souvent d’une façon ou d’une autre aux oreilles des directions des écoles du DIP ? Des mesures auraient dû être prises pour faire face aux risques afin de protéger les victimes. Évoquer l’absence de plainte déposée par les victimes elles-mêmes, ne peut constituer un argument derrière lequel se réfugier pour ne pas agir.

Nous le savons par expérience, et les témoignages des élèves relatés dans le rapport montrent aussi la grande difficulté des jeunes filles à oser en parler, par peur des représailles, peur de la réaction de la famille, peur d’être accusée de l’avoir provoqué, d’être complice, etc.

Des témoignages concordants font état d’une stratégie bien rodée et préméditée utilisée par les harceleurs pour parvenir à leurs fins: des procédés que l’on retrouve fréquemment et qui finissent parfois par emprisonner les jeunes filles dans une nasse inextricable. Les personnes manipulatrices savent très bien jouer de la ligne rouge et du rapport de subordination. En effet tout enseignant est au bénéfice d’une relation asymétrique de subordination. Il possède notamment un vrai pouvoir sur la réussite scolaire car il note le travail des élèves. Il a donc la capacité d’exercer des représailles de cette manière, ce qui a été attesté dans certaines situations de harcèlement.

La difficulté de parler des élèves, très réelle, a peu été prise en considération dans le rapport. Comment les victimes peuvent- elles comprendre les conclusions du rapport sans avoir un sentiment de colère? Qu’auraient-elles dû faire pour être entendues et prises au sérieux?

Le rapport ne mentionne pas non plus les conséquences des actes de harcèlement et l’absence d’aide de l’institution sur la vie des jeunes filles et notamment leur parcours scolaire. Certaines d’entre elles ont ainsi quitté l’ école et abandonné leur formation. Les atteintes à l’intégrité sexuelle n’ont pas été analysées car elles sont encore socialement banalisées.

Une victime ne retire aucun avantage de dénoncer un acte d’abus ou de harcèlement sexuel: au contraire, elle est souvent la cible d’insultes sur les réseaux sociaux émanant même d’enseignant.e.s proches des coupables.

En conclusion, l’école publique genevoise n’a pas su protéger les élèves; par contre, elle a su protéger des harceleurs.

Voici nos remarques au sujet des recommandations contenues dans le rapport:

La prévention et la sensibilisation auprès de la totalité des enseignants et des élèves sont effectivement indispensables.
La recommandation visant à insérer dans une directive et une Charte l’obligation de dénoncer les relations sexuelles entre élèves et profs est surprenante. L’article 33 de la loi d’application du Code pénal (cf article ci-dessous) prévoit déjà pour tous les employés de l’Etat, donc les enseignants, le personnel administratif et technique d’un établissement scolaire, les directions et leur hiérarchie, l’obligation de dénoncer «les infractions poursuivies d’office sur le champ à la police ou au Ministère public». Tous les comportements abusifs envers les élèves et non seulement les rapports sexuels doivent être dénoncés. Ce rapport ne mentionne pas cette obligation pénale de dénoncer et invite à insérer dans une directive une obligation existante tout en la limitant, malgré le texte clair de l’article 33 susmentionné, aux relation sexuelles. De même, les juges recommandent de légiférer clairement afin d’interdire les rapports sexuels entre profs et élèves.

Le Conseil d’Etat et le DIP ont prévu une directive et une Charte. Le domaine est cependant complexe; les comportements répréhensibles pénalement ou non – puisque rien n’est prévu pour protéger les élèves majeures malgré le lien de subordination – peuvent revêtir des formes variées. Cela va du harcèlement ou de la remarque inadéquate à la relation sexuelle. Les sanctions ne sauraient être les mêmes. Il est indispensable de légiférer clairement. Se contenter d’une Charte ou d’une directive au détriment d’un règlement ou d’une loi ayant une portée juridique bien plus forte, revient à affaiblir la protection des élèves à l’école.

A ce sujet, le comité contre le harcèlement recommande une protection similaire à celle accordée aux victimes de harcèlement et d’abus sexuels dans le cadre d’un rapport de travail privé employeur/employé. A savoir, reprendre la loi sur l’égalité qui définit les comportement répréhensibles, et s’en inspirer.

Cette demande de législation est le pilier d’un éventuel changement au bénéfice des élèves. Sans elle, la situation actuelle qui consiste à exiger des élèves victimes de déposer plainte, contribuera à limiter une réelle protection à l’école et favorisera l’amitié ou le corporatisme qui , ainsi que cela ressort du rapport, constituent le cœur du problème.

Enfin, le DIP propose effectivement qu’une élève victime puisse être accompagnée d’une amie ou personne de confiance (pas un avocat) lorsqu’elle est entendue à titre de victime/témoin dans une procédure opposant le DIP à l’enseignant. Il s’agit de la procédure dite administrative qui prive la victime de tous ses droits: droit de réfuter le ou la juge choisi-e par les parties (soit le DIP et l’enseignant accusé), droit de connaître la version officielle du prof dénoncé (envoyée par écrit au DIP et à la juge), droit de faire entendre des témoins qui prouvent qu’elle dit la vérité, droit de faire incident si la juge refuse d’entendre des témoins pertinents, droit de s’opposer avec l’aide d’un avocat, accès à la totalité du dossier, droit de lire le rapport final de la juge et surtout, droit de faire recours contre le rapport. Tous ces droits ont été refusés aux élèves victimes dans l’affaire qui a défrayé la chronique de 2017 à juin 2018. Grâce à la proposition du DIP, l’élève ne sera plus seule face à son enseignant dénoncé, accompagné, lui, de son avocat.

Néanmoins, cette procédure qui a profondément marqué les victimes de l’automne 2017 au mois de juin 2018, resterait malgré la présence en audience d’une personne de confiance proche de la victime, infiniment injuste et partiale. Comme l’a relevé un éminent spécialiste de droit administratif, cette proposition du DIP, brandie comme une avancée déterminante, est une coquille vide.

Infractions contre l’intégrité sexuelle.
Mise en danger du développement de mineurs. Actes d’ordre sexuel avec des enfants

187. alinéa 1du Code Pénal
celui qui aura commis un acte d’ordre sexuel sur un enfant de moins de 16 ans,
celui qui aura entraîné un enfant de cet âge à commettre un acte d’ordre sexuel,
celui qui aura mêlé un enfant de cet âge à un acte d’ordre sexuel,
sera puni de la réclusion pour 5 ans au plus ou de l’emprisonnement.
alinéa 2
l’acte n’est pas punissable si la différence d’âge entre les participants ne dépasse pas trois ans.

Article 188 Code Pénal. Actes d’ordre sexuel avec des personnes dépendantes

alinéa 1. Celui qui profitant de rapports d’éducation, de confiance ou de travail, ou de liens de dépendance d’une autre nature , aura commis un acte d’ordre sexuel sur un mineur âgé de plus de 16 ans celui qui profitant de liens de dépendance, aura entraîné une telle personne à commettre un acte d’ordre sexuel, sera puni de l’emprisonnement

Article 33 de la loi d’application du Code Pénal (LaCP)

Toute autorité, tout membre d’une autorité, tout fonctionnaire au sens de l’article 110 alinéa 3 du Code Pénal, et tout officier public acquérant dans l’exercice de ses fonctions, connaissance d’un crime ou d’un délit poursuivi d’office, est tenu d’en aviser sur-le-champ la police ou le Ministère public.

Notes[+]

Lire également R. Armanios, Abus sexuels: «le DIP ne savait pas», Le Courrier du 28 novembre 2018.

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