L’UDC voudrait-elle abolir le suffrage féminin?
La si mal nommée initiative UDC «Le droit suisse au lieu des juges étrangers» ou encore «Initiative pour l’auto-détermination», sur laquelle nous votons le 25 novembre prochain, mérite d’être débattue non seulement par rapport au contexte européen, mais aussi en pensant au contexte suisse dans lequel nous vivons. Quels effets ce texte produirait-il, appliqué à notre propre démocratie, dans laquelle les cantons sont souverains en différentes matières, et relativement indépendants les uns des autres? Etonnamment, il priverait certaines femmes suisses de leur droit de vote, si durement acquis!
Rappelons brièvement cette histoire. En 1971, 57% des mâles helvètes accordent (enfin) ce droit aux Suissesses, au niveau confédéral. Plus tard cependant, plusieurs cantons maintiennent encore et toujours leur refus au niveau cantonal. Ainsi les Appenzelloises des Rhodes-Intérieures se voient encore exclues de la Landsgemeinde le 28 avril 1990. Il faut un recours au Tribunal fédéral (TF) pour qu’elles deviennent – enfin – citoyennes à part entière de ce demi-canton le 27 novembre 1990, en vertu de l’égalité entre les femmes et les hommes, inscrite en 1981 – seulement – dans le droit suisse, et d’une interprétation élargie (et imposée par le TF) de certains termes de la Constitution appenzelloise.
En résumé: un vote démocratique cantonal (mais masculin) refuse d’accorder le suffrage féminin aux intéressées. Il faut finalement un tribunal extracantonal (puisque le TF siège à Lausanne), peuplé de juges étrangers au canton concerné, pour réparer l’injustice subie par ces femmes. C’est exactement cette catégorie de jugement que l’UDC veut empêcher, à une autre échelle. Finalement, appliqué à notre propre pays, ce texte reviendrait à abolir le suffrage féminin dans une partie de l’Helvétie! Est-il possible que ce soit la volonté cachée de l’UDC?
Ceux qui soutiennent ce texte rêvent probablement d’un retour à l’Helvétie d’avant 1874, puisque la Constitution de cette année-là introduit la primauté du droit fédéral sur le droit cantonal (tiens, tiens…), voire à celle d’avant 1848, dans laquelle les cantons battaient leur propre monnaie et gardaient jalousement leurs frontières. (D’ailleurs, en sortant de Versoix, on peut encore voir, sur le côté de la route, l’ancienne bâtisse qui était dévolue à cet effet.)
Pour l’ensemble de ces raisons, pour garder notre regard et nos ambitions tournés vers le XXIe siècle plutôt que vers le XIXe, il faut impérativement refuser cette initiative passéiste et dangereuse.
François Mireval est conseiller municipal socialiste, Ville de Genève.