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Jair Bolsonaro contre Paulo Freire

Elu président dimanche dernier, le candidat d’extrême droite, Jair Bolsonaro, avait annoncé en août son objectif éducatif: extirper des écoles la philosophie de Paulo Freire – un symbole dans le monde entier d’une éducation en faveur des droits humains.
Brésil

Le pédagogue brésilien Paulo Freire, décédé en 1997, est un symbole insupportable aux yeux des régimes autoritaires. En 1964, après un coup d’Etat, une dictature militaire prend le pouvoir au Brésil. Les opposants sont arrêtés. Paolo Freire figure parmi les premières cibles. Détenu pendant trois mois et torturé, il sera ensuite expulsé de force. Accusée d’endoctrinement marxiste, son œuvre est interdite au Brésil et il ne pourra revenir dans son pays qu’au bout de quinze ans d’exil.

Durant sa campagne présidentielle, Jair Bolsonaro n’a pas hésité à magnifier cette époque où le régime au pouvoir s’en prenait aux opposants. Il a ainsi déclaré: «L’erreur de la dictature a été de torturer sans tuer.» (Radio Jovem Pan, juin 2016). La critique contre l’œuvre de Paulo Freire ces dernières années a été portée au Brésil par un mouvement conservateur: l’Ecole sans parti. Son objectif: faire interdire aux enseignants des références aux études de genre et à l’œuvre de Freire. Lors d’un séjour à Sao Paulo en novembre 2017, la philosophe étasunienne Judith Butler, figure très connue des études genre, a ainsi été prise à partie et brûlée en effigie comme une sorcière.

Avec toute la finesse qui le caractérise, Jair Bolsonaro a récemment déclaré que s’il était élu, il allait «entrer dans le Ministère de l’éducation avec un lance-flamme et sortir Paulo Freire de là-dedans» (Déclaration aux chefs d’entreprise, Espirito Santo, août 2018).

Ceux qui défendent l’œuvre de Paulo Freire rappellent que ce dernier a été prix de la Paix de l’Unesco en 1986 et docteur honoris causa de 28 universités dans le monde. Son livre Pédagogie des opprimés a notamment été traduit dans plus de vingt langues. En France, comme ailleurs dans le monde, des chercheurs/ses et des praticiens/ciennes se réfèrent à son œuvre1>Lire I. Pereira, «Vers des pédagogies radicales», Le Courrier du 26 septembre 2018.. Parce que ses idées ont inspiré de nombreux courants de l’éducation en faveur des droits humains – éducation anti-raciste aux Etats-Unis, éducation à la sexualité en Suède, pédagogie féministe aux Etats-Unis et dans de nombreux autres pays… – Paulo Freire est sans conteste une référence de l’éducation dans le monde entier.

Si son œuvre insupporte tant des hommes politiques comme Bolsonaro, c’est qu’elle revendique le développement de l’esprit critique et qu’elle se donne pour finalité de développer un type d’éducation conforme à un ethos démocratique. Or Bolsonaro s’est illustré durant sa campagne présidentielle par des propos attentatoires à la démocratie et aux droits humains:

• Sur la laïcité et les droits des minorités: «Cette histoire d’Etat laïc n’existe pas, non. L’Etat est chrétien et que celui qui n’est pas d’accord s’en aille. Les minorités doivent se plier aux majorités.» (Meeting à Paraíba, Nordeste, février 2017);

• Sur les personnes noires, en particulier les descendants d’esclaves fugitifs: «Ils ne font rien! Ils ne servent même pas à la reproduction.» (Conférence après une visite dans une communauté quilombola, avril 2017);

• Sur les femmes: «C’est une disgrâce d’être patron dans notre pays, avec toutes ces lois du travail. Entre un homme et une femme, que va se dire un patron? ‘Purée, cette femme a une alliance au doigt, dans peu de temps elle sera enceinte, six mois de congés de maternité’ […] Qui paiera l’addition?» (Quotidien Zero Hora, décembre 2014);

• Sur les personnes homosexuelles: «Je serais incapable d’aimer un fils homosexuel. Je préfèrerais que mon fils meure dans un accident plutôt que de le voir apparaître avec un moustachu.» (Playboy, juin 2011)

Nous assistons actuellement, en Europe et dans les Amériques, à la montée de discours politiques qui s’en prennent aux femmes, aux minorités ethno-raciales, aux migrants et aux minorités sexuelles. Des personnalités prétendant aux plus hautes fonctions, ou les occupant, n’hésitent pas à attiser des discours de haine. La situation actuelle au Brésil et ailleurs, en lien avec la montée des extrêmes droites, ne peut laisser indifférent le monde éducatif. Plus que jamais, travailler à partir de l’œuvre de Paulo Freire, la diffuser et la réinventer est un acte de résistance et de solidarité face à la monté des fascismes et des discours de haine.

Notes[+]

Irène Pereira est l’auteure de Paulo Freire, pédagogue des opprimé-e-s, Paris, Libertalia, 2017.
Les citations de Jair Bolsonaro sont reprises de France 24, 23 octobre 2018 et de Folha de S. Paulo, 25 août 2018.

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