Chroniques

Procès équitable en justice «sportive»

Pierre-Yves Bosshard revient sur la sentence de la Cour européenne des droits de l’homme qui donne tort à la Suisse au sujet de la condamnation de deux sportifs de haut niveau.
Chronique des droits humains

Le 2 octobre dernier, la Cour européenne des droits de l’homme a dit que la Suisse avait violé l’article 6 § 1 de la Convention qui garantit à toute personne le droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable par un tribunal indépendant et impartial, établi par la loi, qui décidera des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil. La Cour a condamné l’absence d’audience publique devant le Tribunal arbitral du sport (TAS)1>Arrêt de la Cour européenne des droits de l’homme du 2 octobre 2018 dans l’affaire Adrian Mutu et Claudia Pechstein c. Suisse (3ème section). .

Les requérants étaient, d’une part, un joueur de football professionnel d’origine roumaine, Monsieur Adrian Mutu qui, à l’époque des faits, avait été engagé par le club anglais Chelsea et, d’autre part, une patineuse de vitesse allemande, Madame Claudia Pechstein, soupçonnée de dopage. Le premier avait été condamné à verser une somme de plus de 17 millions d’euros à son club par la Chambre du règlement des litiges de la Fédération internationale de football (FIFA) pour rupture unilatérale de contrat sans justes motifs. La seconde avait été suspendue pour une période de deux ans par la commission disciplinaire de la fédération internationale de son sport (International Skating Union – ISU). Les deux avaient fait appel de ces sentences devant le Tribunal arbitral du sport (TAS), dont le siège est à Lausanne. Ils ont tous deux réclamé, notamment, que les audiences du TAS soient publiques. Ayant perdu leurs appels, ils avaient recouru au Tribunal fédéral, remettant en cause l’indépendance et l’impartialité des membres du TAS ainsi que le défaut d’audience publique. Le Tribunal fédéral avait rejeté leurs recours par arrêts du 10 février et du 10 juin 2010.

La Cour rappelle qu’une personne peut renoncer au bénéfice des garanties prévues par l’article 6 § 1 de la Convention, notamment en souscrivant à une clause d’arbitrage, mais pour autant que cette acceptation relève d’un choix libre, licite et sans équivoque. Or, en ce qui concerne la requérante, son seul choix était d’accepter cette clause et ainsi gagner sa vie en pratiquant sa discipline au niveau professionnel, soit de ne pas l’accepter et renoncer complètement à gagner sa vie de cette manière. Il s’agissait donc d’un arbitrage forcé, qui doit répondre aux garanties de l’article 6 de la Convention. En ce qui concerne le requérant, qui aurait aussi pu saisir la justice étatique, sa renonciation n’était pas sans équivoque, car il avait tenté en vain de récuser l’arbitre choisi par le club Chelsea.

La Cour poursuit en constatant que le Tribunal arbitral du sport bénéficiait de la plénitude de juridiction pour connaître, sur la base du droit et à l’issue d’une procédure organisée, toute question qui lui était soumise dans le cadre des litiges dont il était saisi. En outre, ses sentences apportaient une solution de type juridictionnel à ces litiges. Elles pouvaient, d’ailleurs, faire l’objet d’un recours devant le Tribunal fédéral. Le TAS avait donc les apparences d’un tribunal établi par la loi. En ce qui concerne les reproches de manque d’indépendance et d’impartialité du Tribunal, les griefs concrets des requérants étaient trop vagues et imprécis pour que ces reproches puissent être accueillis. En revanche, la Cour a considéré que l’absence de publicité de l’audience devant le TAS constituait une violation de l’article 6 § 1 de la Convention. Elle a rappelé que la publicité de la procédure judiciaire constituait un principe fondamental qui protégeait les justiciables contre une justice secrète échappant au contrôle du public et constituait ainsi l’un des moyens qui contribuent à la préservation de la confiance dans les tribunaux. Par la transparence qu’elle donne à l’administration de la justice, elle aide à atteindre l’objectif de l’article 6 § 1 de la Convention: le procès équitable, dont la garantie compte parmi les principes fondamentaux de toute société démocratique.

Cet arrêt est accompagné d’un très intéressant avis minoritaire, rédigé par la juge suisse et le juge chypriote qui considèrent que les problèmes structurels constatés par la Cour de cette institution d’arbitrage, notamment le lien étroit qu’elle entretient avec le Comité international olympique (CIO), les fédérations internationales du sport et les comités olympiques nationaux, auraient dû conduire la cour à constater une violation de l’article 6 §1 de la Convention également dans son volet consacré à l’indépendance et à l’impartialité des tribunaux. L’arrêt rendu par la Cour n’est pas définitif et il n’est pas exclu que la Grande Chambre soit saisie, en particulier sur ce point-là.

Notes[+]

Pierre-Yves Bosshard est avocat au Barreau de Genève, membre du comité de l’Association des juristes progressistes.

Opinions Chroniques Pierre-Yves Bosshard

Chronique liée

Connexion