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Prendre le temps d’y réfléchir

Yves Herren propose de «vivre avec son temps», en prenant celui de la déconnexion…
Digital detox

Pour une grande partie de la population, dans un passé relativement récent, les horaires de travail des un-e-s et des autres s’échelonnaient plus ou moins entre 8 h et 19 h, huit ou neuf heures par jour avec une heure de pause pour le déjeuner. Depuis l’avènement heureux du smartphone, la donne a changé, l’humain semble avoir été connecté en permanence pour son plus grand bonheur d’abord, et peut-être pour une partie de son malheur ensuite. La «liberté de choix» de toutes et tous nous dira que l’humain est libre d’utiliser son smartphone pour s’octroyer un moment de détente dans la journée, lire la presse ou, que sais-je; il serait donc aussi libre de ne pas le faire.

Ce serait oublier que ses activités professionnelles ont vite fait de se glisser insidieusement dans son cerveau à tout moment. Car l’humain reçoit sur le même appareil ses e-mails professionnels – on y est maintenant tellement habitué que cela nous ferait presque rire. Mais ce n’est pas si drôle. Oui, des informations professionnelles arrivent à 7h30 sur le parking quand on dépose les petits à la crèche, à 12h30 pendant la pause déjeuner, autrefois destinée à prendre du repos, parce que notre collègue lui, fera sa pause plus tard, ou que c’est important ou encore urgent. Les informations arrivent à 19h30 pendant le bain, le repas du soir, si ce n’est pas à 22h45 parce que notre contact professionnel a décidé de travailler tard le soir – ça l’arrange, lui! Cette impression de devoir répondre absolument, de devoir suivre l’immédiateté… On laisse les enfants seuls dans le bain et on répond vite à l’e-mail, de peur que le lendemain, au bureau, le fait de ne pas y avoir répondu puisse nous porter préjudice. De quoi peut-être même nous faire passer pour un employé désinvolte, ou très peu investi dans son travail; la peur ancrée de le perdre.

Le mail professionnel arrive désormais en tout temps, partout et toujours, ce mail professionnel n’a pas besoin de respecter d’horaire, encore moins de jour, car il représente presque une urgence d’ordre économique doucement imposée par l’entreprise qui, elle, essaye de suivre l’immédiateté de la demande d’un marché gourmand de cette croissance rendue obligatoire.

Il n’est pas inutile de prendre un peu de ce temps pour analyser la situation et se rendre compte que l’entreprise malmenée par l’immédiateté du profit nécessaire à cette fameuse croissance a tout de même pris le dessus grâce à notre envie/besoin de connexion permanente, quand on consulte un horaire de train pour la balade en famille prévue le week-end, un mail professionnel s’affiche et ramène fissa notre cerveau au travail.

Cette idée du «tout le monde est connecté» rend la chose diablement facile pour l’économie, et sert même presque gratuitement une croissance devenue folle. L’humain en question est-il rémunéré pour répondre à des e-mails depuis sa salle de sport, depuis sa salle de bain, depuis sa chambre à coucher, depuis sa pause repas au parc, ou depuis son cours de dessin ou son atelier-cuisine du jeudi soir? La réponse semble être non, mais les entreprises, l’économie et la demande de croissance du marché ont, elles, déjà inscrit cela sous la rubrique bénéfice.

Ce temps volé à l’humain a produit de la valeur ajoutée économique qui influence directement les résultats et alimente encore cette fameuse croissance. En bref, du temps volé à notre quiétude presque destiné à fabriquer une toute petite partie de PIB supplémentaire. Cet évolution technologique a optimisé, continue et continuera d’optimiser les résultats tant il semble ne plus y avoir de limite.

Alors à quand un «droit à la déconnexion» entre 20 h et 7 h du matin?! Cela semble un peu affolant de devoir imaginer la possibilité d’en arriver là, mais ce sera un jour probablement nécessaire afin de défendre la qualité de vie de toutes et tous, sinon l’économie continuera probablement sans cesse à voler notre temps.

Yves Herren, Genève

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