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«Ma femme a été emprisonnée pour avoir dénoncé le harcèlement sexuel en Egypte»

Amal Fathy, arrêtée le 11 mai pour avoir posté sur Facebook une vidéo dénonçant le harcèlement sexuel et critiquant le gouvernement égyptien pour son inaction, a été maintenue en détention pendant quinze jours. D’abord libérée sous caution, elle est aujourd’hui inquiétée dans le cadre d’une autre affaire portant sur ses liens présumés avec un mouvement de jeunes militants et placée en détention provisoire. Cette deuxième affaire est portée en jugement, mais l’on ignore ce qui lui est concrètement reproché. Son mari, Mohamed Lotfy, chercheur dans le domaine des droits humains, témoigne.
Droits humains

En tant que chercheur sur les droits humains, j’ai interviewé de nombreuses personnes qui ont été jetées en prison ainsi que leurs proches. Chacune de ces interviews m’a déchiré le cœur, mais je n’ai jamais totalement compris la douleur de ces personnes jusqu’à ce que je sois directement concerné. C’est mille fois pire que ce que j’avais imaginé.

Quand ma femme, Amal, a été arrêtée, j’ai été choqué et bouleversé. Elle n’avait rien fait de dangereux. Elle n’avait même commis aucune infraction. Elle n’avait fait que dénoncer publiquement le harcèlement sexuel. Mais en Egypte, si une victime prend la parole, c’est elle qui est punie, et non l’auteur des abus. Chacun sait que la violence sexuelle est une réalité en Egypte et partout ailleurs dans le monde. Mais dans mon pays, ces abus sont devenus tellement habituels qu’ils ne sont pas dénoncés. Si une personne dénonce ces agissements, c’est elle qui sera montrée du doigt. C’est ce qui est arrivé à Amal. Elle a décidé de prendre position et de raconter ce qui lui était arrivé; et à présent elle est punie pour cela.

Depuis l’arrestation de mon épouse, en mai, j’ai déposé des recours contre son incarcération. Elle a obtenu une libération sous caution dans la première affaire, où elle était accusée d’avoir posté sur Facebook une vidéo condamnant le harcèlement sexuel, mais elle a ensuite été placée en détention provisoire pour «appartenance à une organisation terroriste», «utilisation d’un site internet dans le but de promouvoir des idées appelant à commettre des actes de terrorisme» et «diffusion intentionnelle de fausses nouvelles susceptibles de porter atteinte à la sécurité publique et à l’intérêt du public». Elle doit à présent être jugée [le procès a été repoussé au 8 septembre, précise Amnesty Intenational] mais l’on ignore encore ce qui lui est exactement reproché. La première audience a eu lieu le 11 août devant le Tribunal correctionnel de Maadi, au Caire.

Ces accusations sont dépourvues de tout fondement. Elles sont absurdes et ridicules. Amal est actuellement incarcérée. Même si elle dispose de l’essentiel pour survivre, je suis très inquiet. C’est une femme forte qui rêve de devenir actrice. Elle était sociable, franche, honnête, et elle aimait rire. Mais la prison est à même de détruire les personnes les plus solides. Amal souffre de dépression et elle ne reçoit pas les médicaments dont elle a besoin. Récemment, elle a souffert de complications pour des problèmes à sa jambe gauche et la prison a mis plus de deux semaines à trouver le bon médicament. Nous ne comprenons ni l’un ni l’autre pourquoi elle se trouve là. Et il est ridicule qu’elle soit jugée pour avoir exprimé une opinion. Nous sommes des êtres humains et nous avons le droit de partager des idées et de communiquer nos espoirs et nos craintes afin d’améliorer nos existences. On doit nous donner la possibilité de parler librement et ensemble.

Je dois rester fort pour Amal et pour notre petit garçon de 3 ans. Quand je rends visite à Amal en prison, je fais de mon mieux pour qu’elle et moi gardions le moral. C’est incroyable de voir les gens se réunir pour soutenir Amal et demander sa libération. Des sympathisants d’Amnesty International ont écrit des lettres, et cela réchauffe le cœur de voir autant de personnes se tenir à nos côtés dans un esprit de solidarité. Cela nous donne à tous les deux l’énergie suffisante pour tenir le coup. Avec tous ces gens qui nous soutiennent, nous ne nous sentons pas isolés et nous ne baisserons pas les bras.

Vivre dans l’incertitude, cela nous mine tous. Mon fils et moi continuons d’espérer chaque jour qu’Amal va être libérée, mais comme elle reste incarcérée, c’est un déchirement quotidien et tout recommence, en particulier depuis que nous savons qu’elle va être jugée. Les autorités égyptiennes utilisent ce type d’accusations contre ceux qui expriment des critiques et contre les journalistes dans le but de les réduire au silence. Ma femme a courageusement dénoncé le harcèlement sexuel qu’elle a subi en Egypte. On devrait l’applaudir pour son courage, au lieu de la traîner devant les tribunaux.

Ancien chercheur d’Amnesty International, Mohamed Lotfy est directeur de l’ONG Commission égyptienne pour les droits et les libertés. Témoignage publié le 28 août par Amnesty – France, www.amnesty.fr

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