Chroniques

Mobilisation sans précédent contre la Loi de la Nation

AU PIED DU MUR

Samedi 4 août se sont rassemblés plus de 30 000 manifestants sur la place Rabin à Tel Aviv. On en attendait cinq fois plus le samedi suivant. Qu’est-ce qui a motivé tant de monde à descendre dans la rue en pleine canicule, et cela après de longs mois, des années même, durant lesquelles le public israélien a démontré sa capacité à l’indifférence, en particulier vis-à-vis du martyre des habitants de Gaza? La raison de cette manifestation est une nouvelle loi, pire, une loi fondamentale, qui inscrit la discrimination dans le cadre constitutionnel de l’Etat d’Israël. La loi de la Nation met fin à l’oxymore «Etat juif et démocratique». Israël est désormais l’Etat des Juifs et non de ses citoyens, comme le suppose pourtant la notion même de démocratie.

Rien de nouveau, pourrait-on objecter: Israël a toujours pratiqué la discrimination entre les Juifs, privilégies, et non-Juifs. Pourtant, les fondateurs de l’Etat d’Israël tenaient beaucoup à leur image démocratique et libérale. Dans la Déclaration d’indépendance d’Israël – qui jusque-là tenait lieu de référence constitutionnelle –, l’égalité de tous les citoyens est explicite. Plus maintenant, au contraire. Mais comme nous le savons tous, il est toujours préférable d’avoir des références éthiques que de prêcher ouvertement la loi du plus fort, la loi de la jungle.

Pour de très nombreux Israélien-nes, c’en est trop: personne n’aime regarder ses plaies dans le miroir et à Tel Aviv, on tient beaucoup à son image de marque, même quand on sait qu’elle cache souvent de mauvais comportements.

La manifestation de Tel Aviv avait, à l’origine, été appelée par la communauté druze. Les Druzes ont longtemps été les «bons arabes», faisant même leur service militaire. Dans la nouvelle loi qui singularise les Juifs, et eux seuls, les Druzes redeviennent des arabes. Pis, dans une tentative de s’expliquer devant les notables de cette communauté, Netanyahou les a carrément humiliés, et tout particulièrement le général Amal Assad, qui a osé parler d’apartheid.

Aux milliers de Druzes rassemblés à Tel Aviv se sont joints des dizaines de milliers d’autres Israéliens, conscients que cette nouvelle «Loi de la Nation» signifiait un vrai changement de régime, et ainsi l’impossibilité de se revendiquer d’un Etat démocratique. Les prises de position contre la nouvelle loi se font entendre dans tous les secteurs de la société: universitaires, artistes, intellectuels ou encore officiers supérieurs à la retraite. Un exemple parmi d’autres: le professeur Mordechai Kremnitzer, juriste de renom, colonel de réserve et ancien procureur adjoint des tribunaux militaires, a publiquement éclaté en sanglots lors de son réquisitoire à la télévision, réagissant à une loi qui, à ses yeux, marque la fin de la démocratie israélienne. Si c’est lui qui le dit…

 

Militant anticolonialiste israélien, fondateur du Centre d’information alternative (Jérusalem/Bethléem).

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lundi 8 janvier 2018

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