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Enfants sénégalais: halte à la violence!

En Afrique, les plus jeunes doivent faire face à de nombreux défis, en particulier la violence. Des millions d’enfants en sont victimes au quotidien. Certains ont pris la parole pour dire stop, comme au Sénégal, où une vague d’enlèvements, viols et assassinats sème la psychose depuis le début de l’année. Eclairage.
Enfants sénégalais: halte à la violence!
En Afrique subsaharienne, près de 250 millions d’enfants sont toujours privés de certains droits élémentaires. Mais il y a une prise de conscience croissante dans la société et les jeunes se mobilisent aujourd’hui pour défendre eux-mêmes leurs droits. DH/MICHEL VACHERON
Protection de l’enfant

Une photo prise un 16 juin par le Sud-Africain Sam Nzima a fait le tour du monde. Celle d’un enfant de 13 ans gisant dans les bras d’un jeune homme, sous le regard éperdu de sa sœur. Hector Pieterson est l’une des premières victimes du «Massacre de Soweto». C’était en 1976, des milliers d’élèves noirs descendaient dans la rue, près de Johannesburg. Ils protestaient contre l’imposition dans leurs écoles de l’afrikaans – la langue du régime ségrégationniste de l’apartheid de l’époque. La réponse des autorités à leur marche, qui se voulait pacifique, est sanglante: des centaines d’enfants et de jeunes sont tués ce jour-là, abattus par la police.

La Journée mondiale de l’enfant africain, célébrée le 16 juin en hommage à ces jeunes victimes, met à l’honneur les enfants d’Afrique, un continent où près de la moitié de la population, soit un demi-milliard de personnes, a moins de 18 ans. Instaurée par l’Organisation de l’Unité Africaine (aujourd’hui Union Africaine) en 1991, elle est l’occasion de mener une réflexion en vue de protéger cette jeune population qui fait face à de nombreux défis.

Parmi les atteintes aux droits des enfants, la violence, sous toutes ses formes: châtiments corporels à la maison, abus sexuels par des proches, agressions sur le chemin de l’école ou violations les plus graves des droits de l’enfant dans les zones de conflits; des millions d’enfants subissent tous les jours des violences physiques, psychologiques ou sexuelles. Celles-ci affectent leur santé et compromettent leur scolarité, donc leurs chances d’avenir.

Enlèvements et meurtres: les enfants disent stop!

Ces violences vont souvent de pair avec des phénomènes comme l’urbanisation, l’accroissement des inégalités, l’éclatement des familles, ou des coutumes traditionnelles non conformes aux droits de l’enfant, comme les mutilations génitales. Les enfants les plus exposés manquent généralement d’un cadre familial protecteur: vivant dans la rue, placés dans des institutions ou travaillant comme domestiques dans des familles plus aisées, ils sont particulièrement vulnérables et souvent abusés. Tout comme les enfants handicapés, fortement discriminés.

Au Sénégal, la situation des enfants est particulièrement préoccupante. Une récente vague d’enlèvements, de viols et de meurtres d’enfants, largement relayée dans la presse, a créé une psychose au sein d’une population qui n’avait pas l’habitude de fermer sa porte à clé. La plus jeune victime était âgée de deux ans.

Le ras-le-bol face à ces crimes a fait descendre les gens dans la rue, dont beaucoup de femmes et d’enfants. Plusieurs manifestations ont eu lieu à Dakar et dans sa banlieue. En avril dernier, des enfants ont pris la parole à l’issue d’une marche de protestation, pour dénoncer ces violences et demander aux autorités d’assurer leur sécurité.

A l’aise devant la foule, les caméras et les autorités locales, une jeune fille drapée dans un tissu à fleurs a rappelé haut et fort les noms des enfants enlevés, violés et assassinés, avant de demander à chacun de prendre ses responsabilités. A l’Etat, de «poursuivre et sanctionner sévèrement les auteurs» de ces crimes, d’«assurer la prise en charge totale des victimes», et de «redynamiser le parlement national des enfants»; aux collectivités, de «renforcer l’éclairage public dans les quartiers»; aux ONG, de «renforcer le plaidoyer pour l’application des lois» protégeant les enfants; aux parents, de «renforcer la surveillance de leurs enfants»; et enfin, aux enfants, d’«éviter les mauvaises fréquentations», de «ne pas aller jouer loin de leurs maisons», et de «rester dans la cour de l’école pendant les récréations».

Les enfants de cette «Caravane de sensibilisation» faisaient partie des Clubs mis sur pied par EDEN, une association sénégalaise très active dans la protection des droits de l’enfant. Soutenue par Terre des Hommes Suisse, l’organisation vise à ce que les enfants, en particulier les plus marginalisés, puissent s’affirmer et prendre leur place dans la société. Dans un environnement sécurisé, elle offre à des milliers d’enfants et d’adolescents de la banlieue de Dakar des animations socio-éducatives axées sur les droits de l’enfant. Ils apprennent à identifier les risques d’abus, à favoriser leur signalement et à orienter les victimes vers les services concernés. Ils jouissent aussi d’un soutien parascolaire adapté à leurs besoins.

Le Sénégal est un pays de contradictions. Politiquement stable, pôle économique d’Afrique de l’Ouest dynamique avec une croissance de 6,8% en 2018, il y existe cependant beaucoup d’inégalités. Avec un taux de pauvreté de 47%, le pays est classé 162e sur 188, d’après l’Indice de développement humain.

Comme beaucoup de nations, le Sénégal a adopté des lois et des politiques en faveur du bien-être des enfants. Il a ratifié la Convention des Nations Unies relative aux droits de l’enfant en 1990 et s’est doté en 2013 d’une stratégie nationale de protection de l’enfant. Sur le plan social, les enfants de familles à bas revenus bénéficient d’un programme de bourses familiales tandis que la couverture maladie universelle assure la gratuité des soins à tous les enfants âgés de 0 à 5 ans.

Mais faute de ressources financières et humaines adéquates, les politiques prévues pour protéger les enfants restent souvent sans effet. Les plus jeunes continuent à subir la maltraitance, la négligence, l’exploitation et la violence au quotidien.

L’éducation et la participation citoyenne comme levier

La scolarité est obligatoire au Sénégal pour tous les enfants des deux sexes âgés de 6 à 16 ans. Pourtant, un tiers d’entre eux ne vont pas à l’école, et environ 60% seulement des enfants inscrits terminent l’enseignement primaire. Seuls 8% des jeunes filles et 13% des garçons suivent des études supérieures. Au total, entre 700 000 et un million d’enfants sont ­déscolarisés.

Lors des manifestations contre les violences à Dakar, les enfants ne se sont pas contentés d’être simplement des sujets de protection. La Convention internationale leur donne «le droit d’exprimer librement [leur] opinion sur toute question [les] intéressant». Encore faut-il qu’ils sachent comment. Aïssatou, une jeune membre des Clubs EDEN, a sa réponse: «Après avoir participé à la formation sur les droits de l’enfant, je me sens maintenant paire-éducatrice. C’est à notre tour aujourd’hui de transmettre nos connaissances à nos amis, et même à nos parents.»

A l’occasion de cette Journée mondiale de l’enfant africain, il est bon de rappeler qu’un enfant instruit, qui connaît ses droits et peut les faire valoir, est un enfant mieux prémuni contre la violence. A la famille, aux communautés, aux organisations et aux Etats de faire leur part pour lui garantir un environnement sûr.

Terre des Hommes Suisse  et les droits de l’enfant au Sénégal

Deux défenseurs des droits de l’enfant en Afrique, Vincent Kaboré et Serigne Khadim Dieng, respectivement coordinateur régional (Afrique-Caraïbes) et coordinateur national (Sénégal) de Terre des Hommes Suisse, étaient récemment de passage à Genève. Entretien.

Quels sont les principaux cas de violences sur les enfants au Sénégal?

Au Bureau d’accueil, d’écoute et d’orientation mis sur pied par l’organisation sénégalaise EDEN, avec l’appui de Terre des Hommes Suisse, les cas les plus nombreux ont trait à la violence psychologique et à la négligence parentale. Le Bureau reçoit également des enfants victimes de châtiments corporels, de maltraitance, d’abus sexuels et d’inceste. Récemment, le pays a connu une vague de crimes liés à des pratiques mystiques contre des enfants. Il y a eu une levée de boucliers.

Que fait Terre des Hommes Suisse pour protéger les enfants?

Nous mettons l’accent sur l’éducation et la participation. Les enfants apprennent à connaître leurs droits au travers des formations, de causeries de quartier, d’olympiades, de jeux de rôle. Ils se familiarisent aussi avec les textes juridiques. Ils peuvent identifier ce qui a trait à leurs droits dans la vie courante et à dénoncer les abus. Le plaidoyer et la mobilisation sont également très importants. Les Club EDEN ont un comité d’experts, formé d’une quinzaine de jeunes maîtrisant bien le domaine des droits de l’homme et de l’enfant, et capables d’interpeler les autorités, les parents et la presse.

Y a-t-il une amélioration de la situation des enfants en Afrique?

La perception de l’enfant en Afrique est en train d’évoluer. En ville, où les familles ont peu d’enfants, il y a une prise de conscience progressive sur ce que l’enfant est capable de faire ou non. Il n’y a pratiquement pas un jour sans que la question des droits de l’enfant ne soit abordée dans les journaux ou par les autorités. Malgré cela, les initiatives portées par les autorités n’obtiennent pas suffisamment de résultats concrets pour protéger les jeunes. En particulier, dans le domaine du travail des enfants, de la mendicité ou de la prostitution des adolescentes, un phénomène qui prend de l’ampleur. Il y a cependant quelques avancées. Au Sénégal, les auteurs de violences sont signalés et dénoncés. Par exemple, la loi punit rigoureusement les violeurs, qui encourent au minimum 10 ans de prison. Cela a été un travail de longue haleine.

Propos recueillis par ESS

 

* Journaliste indépendante, en collaboration avec Terre des Hommes Suisse. Basée à Genève, Terre des Hommes Suisse promeut les droits de l’enfant dans 10 pays, dont la Suisse. Au Sénégal, elle soutient trois organisations locales de protection de l’enfance: EDEN, Alphadev et Ndeyi Jirim, www.terredeshommessuisse.ch

Sources principales: Africa Sustainable Development Report (2017), African Report on Violence against Children (The African Policy Forum, 2014), Rapport africain sur le bien-être de l’enfant (2016), Rapport sur la situation de l’enfant dans le monde (UNICEF, 2016), Terre des Hommes Suisse au Sénégal, Stratégie nationale de protection de l’enfant (Sénégal), UNESCO.

Opinions Contrechamp Elena Sartorius Protection de l’enfant

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