«La chasse à l’homme, ça suffit!»
La chasse aux esclaves, les ratonnades de migrants, le harcèlement des femmes, la mise au travail forcé, le vol de la valeur de leur travail et de leur vie aux travailleurs, comme l’a expliqué Marx, la poursuite des chômeurs sont des faits historiques et actuels avec un soubassement commun: susciter l’aversion de l’autre pour assurer l’asservissement à l’apartheid de classe, de race, de sexe du capitalisme globalisé «productiviste» à n’importe quel prix1>Gatien Elie, La Plaine. Récits de travailleurs du productivisme agricole, Paris, Amsterdam, 2018..
Le 17 mai, huit policiers de deux cantons suisses ont pourchassé une femme nigériane et son bébé de 3 mois. Ils les ont embarqués dans un avion pour un camp surpeuplé de Florence2>Pour plus d’information, lire le communiqué du Collectif R, https://bit.ly/2s4V0ya, ou contacter refuge@stoprenvoi.ch. Une expulsion de plus en Italie au nom des accords Dublin participe à la même histoire sombre, en mettant l’Italie sous pression, alors que l’extrême droite progresse. Une de trop. Et pourtant les arrestations-expulsions continuent3>Le 24 mai, une maman et ses deux enfants sont expulsés, alors que le père est à l’hôpital (Lausanne).
Questions de bon sens: un bébé, une mère rabaissés à l’état de bêtes à chasser, pourquoi? Combien coûte le temps de travail de huit policiers pour traquer, expulser un bébé et sa mère? Quel est le coût financier direct, indirect de Dublin? Jusqu’où ces coûts se justifient-ils dans le prélèvement de nos impôts? Quel est le coût humain et politique de l’asservissement à Dublin et de la chasse à l’homme policière aux «illégaux»? Pouvons-nous imaginer les effets boomerang de la violence d’Etat? Rosa Luxemburg et Hannah Arendt ont décrit cela à propos des violences coloniales et de la guerre «totale» au XXe siècle.
La chasse à l’homme, ça suffit4>Chamayou Grégoire, Les Chasses à l’homme, Paris, La Fabrique, 2010.. Imaginez un instant la chasse à l’homme contre un bébé de 3 mois et sa mère jetés dans la survie. Loin de nous. Cette déshumanisation met en lumière une désertion de plus du gouvernement. Elle légitime l’exercice de l’hostilité raciste dans le service public et la population.
La violence d’Etat est inhumaine, viole l’Etat de droit et les droits de l’homme. La police n’est pas une politique. Plus grave. Elle s’inscrit dans une dé-démocratisation de la politique. La pratique de l’hypocrisie utilitariste (migration choisie et clandestinité), la banalisation de la force, la délégation de responsabilité dans le partage des responsabilités en Europe, la servilité des autorités montrent l’absence d’une politique lucide, courageuse des gouvernants, tout en attisant le désengagement.
Rien n’est simple. Le mensonge politique de l’envahissement, de la catastrophe de la migration est une attaque de la raison qui coûte cher à l’Europe et à la Suisse. La force aveugle n’a jamais aidé à faire face à la complexité.
L’exercice démocratique dans cette période de globalisation capitaliste suppose le courage de tenir la tension entre le compromis et le conflit.
A propos de la haine – la suppression du droit de vivre au pauvre, à l’étranger –, du déni de l’évidence de l’asile5>Caloz-Tschopp M.Cl., L’évidence de l’asile, Paris, éd. L’Harmattan, 2016. pilier de la politique, il n’y a pas de compromis possible. Il y a un ferme désaccord. Un conflit ouvert.
Aujourd’hui, les membres de la société civile solidaires avec les réfugiés Dublin, les luttes contre toutes les précarisations (travailleurs, paysans, chômeurs, étudiants, sans logement, personnes âgées, malades, etc.), les expulsions de notre société soumise à la globalisation capitaliste sont des pratiques insurrectionnelles de la responsabilité politique.
Au bout de dix ans d’application absurde de Dublin, la Suisse, l’Europe s’essoufflent en courant derrière un train fou. Faut-il attendre l’aggravation du chaos pour dénoncer enfin les accords Dublin et ouvrir une aube nouvelle?
Au bout de dix ans d’une politique d’expulsion qui butte contre un mur, le temps est venu de garder en Suisse les requérants Dublin. Quel danger représentent quelques milliers de personnes?
En Suisse, dans la société civile, il y a le souffle courageux de la vie. Aurons-nous aussi une Mère Courage au Conseil fédéral6>On pourrait en établir une liste en Europe pour un prix Nobel Stop Dublin., comme dans le théâtre de Brecht? Passer du mensonge, de la politique de la patate chaude, au courage, est un impératif démocratique pour l’Europe qu’un tel fait nous rappelle. Il ne peut plus être foulé aux pieds. La chasse à l’homme, ça suffit.
Notes
* Genève, exil-ciph.com