La médiation carcérale peine à émerger
Une séance de médiation après jugement, à la suite d’une infraction pénale. WHY ME?/DR (clip de présentation de l’organisation/GB - capture d’écran)
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La médiation carcérale peine à émerger

Peu connue dans notre pays, la médiation carcérale est proposée depuis plusieurs années en Belgique, aux Etats-Unis ou encore au Canada. L’Association pour la justice restaurative en Suisse (AJURES) promeut ce processus. Rencontre avec sa présidente, Camille Perrier Depeursinge, docteure en droit et avocate, pour le bulletin Infoprisons.
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Auteure d’une thèse sur la médiation pénale, Camille Perrier Depeursinge a saisi l’importance de la justice restaurative en s’intéressant aux victimes et à leurs besoins de reconnaissance, de partager les conséquences de l’infraction et de pouvoir entendre l’auteur sur son ressenti. «En tant qu’ancienne victime, cela m’a parlé», relève la présidente de l’AJURES. Le système pénal suisse ne prévoit rien – ou si peu  – pour répondre à ces besoins. Quant aux auteurs d’infractions, il leur arrive souvent de regretter et d’être désolés. «Cela dit, dans un cadre pénal, si les éléments constitutifs de l’infraction ne sont pas clairement réalisés, on va plutôt leur conseiller de se taire.» D’où la nécessité de proposer un autre processus, à côté du système pénal, pour répondre à ces aspects et «donner aux auteurs une opportunité de tenter de réparer le mal qu’ils ont fait.» Pour Camille Perrier Depeursinge, il est essentiel de faire davantage confiance aux victimes et aux auteurs d’infraction, et «leur donner la capacité de s’exprimer et de réparer». Entretien.

AJURES: œuvrer pour la restauration du lien

L’Association AJURES a été créée à la fin de l’année 2015, sur l’impulsion d’un aumônier de prison et de deux médiateurs. Elle est aujourd’hui composée de deux médiateurs pénaux, d’un criminologue, d’une psychologue, d’une psychothérapeute FSP, d’un juriste et cinéaste, d’un aumônier de prison et d’une sociologue. Camille Perrier Depeursinge, docteure en droit et avocate, en assume la présidence. Au départ, l’idée était de promouvoir et de mettre en œuvre la justice restaurative en général. Le premier projet a été un programme de médiation carcérale dans les prisons, mais l’association s’est heurtée à des problèmes de bureaucratie, d’autorisations et à des enjeux politiques. Le deuxième projet porte sur des dispositions visant l’entrée en vigueur d’une base légale pour la justice restaurative, qu’AJURES a proposées à l’Office fédéral de la justice. Le retour a été assez positif mais le travail de sensibilisation doit être poursuivi. En outre, un documentaire intitulé Je ne te voyais pas a été réalisé par un membre du comité, présentant des médiations carcérales et pénales en Belgique avec l’association Médiante, et le programme Sycomore (dialogue entre victimes et détenus qui ne se connaissent pas mais concernant le même type d’infractions) mené en Argovie. Le film, qui doit sortir prochainement, montre les effets positifs d’un processus de justice restaurative. CQn

Infoprisons: Quel est le fonction­nement et l’utilité de la justice restaurative, et de la médiation carcérale en particulier?

Camille P. Depeursinge: La justice restaurative est complémentaire à la justice pénale. Elle devrait être possible à tout moment, depuis la commission de l’infraction jusqu’à plusieurs années après le règlement de l’exécution de la sanction. Le temps de la reconstruction pour les auteurs et les victimes ne correspond pas au temps de la procédure pénale.

Il faut bien noter que la finalité de la procédure pénale est de répondre à un besoin de sanction, en déterminant l’infraction, la culpabilité et la sanction appropriée. En revanche, la justice restaurative répond aux besoins de la victime et de l’auteur de l’infraction en prenant en compte le fait que l’infraction a causé toutes sortes de dommages, et se demande comment il est possible de réparer ce qui est arrivé. La plupart du temps, on n’imagine pas que le détenu peut avoir envie de s’excuser; pourtant cette envie peut être présente. Et il me semble qu’il faut encourager la responsabilisation du détenu.

La médiation carcérale est proposée depuis plus de vingt ans dans des établissements pénitentiaires en Belgique, aux Etats-Unis et au Canada. Quelle place a-t-elle en Suisse?

Nous essayons de la développer. A Genève, nous avons parlé à des personnes ouvertes avec une véritable envie de promouvoir la réinsertion du détenu. Nous travaillons actuellement avec le personnel [de la prison] de la Brenaz. Dans beaucoup d’autres cantons, la médiation carcérale n’est actuellement pas une priorité. En Suisse alémanique, des dialogues restauratifs sont réalisés à la prison de Lenzburg. Ce sont des rencontres entre des groupes de victimes ayant subi un certain type d’infractions et des auteurs ayant commis le même type d’infractions. C’est probablement un peu moins difficile d’accepter de participer, en tant que victime, car on ne va pas rencontrer son propre agresseur. Lors de ces rencontres, il y a de véritables échanges, des métamorphoses de la part des détenus qui réalisent à quel point leur acte a fait du mal. C’est un processus important dans la réinsertion du détenu et pour la reconstruction des victimes.

Avec quels impacts positifs pour les victimes et pour les détenus?

Du coté des victimes, la possibilité d’accéder à ce processus de médiation leur redonne du pouvoir et une possibilité d’avancer. C’est important de comprendre et d’avoir une reconnaissance du statut de victime pour se reconstruire. Concernant les détenus, la médiation leur permet de prendre conscience du mal qu’ils ont fait et d’exister autrement. Ceux qui ont choisi d’avoir recours à ce type de processus avancent souvent l’envie de se réhabiliter, de réparer et d’expliquer à la victime pourquoi ils en sont arrivés là.

Concernant le taux de récidive des auteurs d’infraction, beaucoup d’études ont été réalisées dans le monde. La tendance générale qui ressort de méta-analyses et de la littérature est que la justice restaurative réduit le taux de récidive d’environ 7%. C’est le taux le plus prudent. En réalité, la baisse est probablement de plus de 7% lorsqu’on applique la justice restaurative à des infractions qui supposent de la violence contre des personnes. Dans ces cas-là, il existe un véritable impact car l’auteur prend conscience du mal qu’il a créé.

La médiation pénale peut-elle influer sur la durée des peines?

Avec la médiation carcérale, nous sommes hors de l’enjeu de sanction; le détenu n’a pas la possibilité d’instrumentaliser le processus pour tenter d’obtenir une sanction plus faible.

La question est différente si on envisage la justice restaurative avant le jugement. Une infraction pénale lèse souvent un intérêt privé, l’intérêt de la personne, comme son intégrité corporelle ou sa propriété, mais elle lèse également un intérêt public, comme la sécurité. Si on réalise un processus de justice réparatrice et que, dans ce cadre-là, on a satisfait aux intérêts privés, il ne reste à la justice criminelle qu’à prononcer une sanction pour la lésion de l’intérêt public. L’article 48 du Code pénal prévoit la possibilité de réduire la sanction en cas de repentir sincère. Il serait possible d’appliquer l’art. 53 CP qui prévoit l’exemption de peine en cas de réparation. La médiation carcérale peut avoir une influence sur la durée de la peine, mais indirectement. Si l’auteur fait particulièrement preuve de bonne volonté, entreprend un processus de justice réparatrice et qu’une vraie prise de conscience existe, les personnes dans son entourage carcéral vont probablement envisager de façon plus positive son retour à la vie en société, et donc sa libération conditionnelle.

Avez-vous de l’expérience dans la médiation pénale, avant jugement? Votre point de vue sur le sujet?

Nous essayons de promouvoir la médiation après jugement car, pour la médiation avant jugement, nous avons besoin d’une base légale. C’est donc beaucoup plus difficile. En Suisse, il est possible de faire de la médiation pénale (avant jugement) avec les mineurs. Ce système montre de vrais résultats. Dans le canton de Fribourg, la pratique est courante. Une fois le conflit résolu et la procédure pénale classée, le jeune n’a pas de casier, ni d’antécédent judiciaire. Mais cette solution est sous-utilisée dans les autres cantons.

C’est l’autorité d’instruction qui décide en Suisse de l’opportunité d’entreprendre ou non une médiation selon les dossiers. Souvent, elle considère qu’il ne faut pas envoyer le cas en médiation, peut-être en raison du coût, ou parce qu’elle estime qu’une sanction s’impose. C’est souvent une question de moyens et de volonté politique. A Fribourg, les médiateurs sont salariés et les autorités ont été sensibilisées à la justice restaurative. L’usage est donc beaucoup plus large. Pour les adultes, nous essayons de faire adopter une base légale pour pouvoir aussi proposer la médiation avant jugement.

Quels sont les coûts de la mise en place de la médiation carcérale? Qui finance ces programmes?

AJURES a reçu des dons et nous pouvons donc, depuis début 2018, défrayer nos médiateurs. Nous sommes une association à but non lucratif. Nous ne gagnons pas d’argent sur nos activités et ne coûtons rien aux cantons dans lesquels nous essayons de nous implémenter.

En Suisse, la médiation est la plupart du temps rémunérée à l’heure et le coût horaire dépend des cantons. Dans les cantons qui fixent un tarif horaire, le prix d’un processus de médiation abouti est de l’ordre de 1000 CHF (pour 3 à 5 séances). Cela ne coûte rien ni aux parties, ni aux établissements pénitentiaires. Une étude réalisée en Angleterre montre que, même si on ne réduit que faiblement le taux de récidive, le gain financier est important: le coût de la récidive est si élevé que cela rembourse largement celui de mise en place d’un tel programme.

Quelle est l’attitude des autorités politiques par rapport à la médiation carcérale? Il y a déjà eu des objections fortes de ce côté…

Le climat actuel est à l’exigence du risque zéro. Pour se faire élire, les politiques doivent montrer une certaine dureté à l’égard du crime. Quand on parle de justice restaurative ou de médiation pénale, on imagine l’auteur de l’infraction qui s’excuse et s’en sort favorablement. C’est ce qui ressort dans l’opinion publique. Aussi, quand on arrive avec des propositions comme les nôtres, on est rarement bien reçu parce que ces préjugés existent. A l’opposé, quand on prend le temps d’expliquer nos activités, les gens sont très souvent enthousiastes. En milieu carcéral spécialement, il y a beaucoup de monde à convaincre et il suffit qu’une personne doute pour empêcher la mise en place du projet.

A Genève, le canton s’est donné les moyens de réfléchir et de faire autre chose. On y a vu les limites de la politique extra-sécuritaire, notamment avec la surpopulation carcérale. On ne peut pas continuer à enfermer les gens le plus longtemps possible et faire des sorties sèches. Il faut ouvrir la réflexion, mettre en place d’autres solutions. Cela dit, le nouveau droit des sanctions va plutôt dans l’autre sens. Le message de cette réforme nous montre que, politiquement, le climat n’est pas optimal pour promouvoir la justice restaurative. Mais il suffit peut-être d’un ou deux politiciens courageux pour pouvoir prouver que la justice restaurative fonctionne.

Article paru dans le bulletin Infoprisons n°22, mars 2018. A retrouver (version longue) sur www.infoprisons.ch

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