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«Féministes de tous les pays, qui lave vos chaussettes?»

ENTRE SOI.E.S

Les 20 et 21 janvier 2018 se réunissait le 13e Congrès des femmes de l’Union syndicale suisse1>«Notre temps vaut plus que ça!», 13e Congrès des femmes de l’USS, 21.01.2018.. En toute logique, les syndicalistes se sont concentrées sur l’égalité salariale entre femmes et hommes et sur les moyens de la réaliser. Loin des argumentations méritocratiques et carriéristes des femmes de droite, le thème de l’égalité salariale a été inclus dans une réflexion féministe plus globale. Le temps de travail et le domaine du care ont ainsi largement été discutés lors de ce Congrès, tout comme la dévalorisation du travail dit féminin, la conciliation des sphères privées et professionnelles, et la répartition des tâches dans le couple hétérosexuel.

Une revendication incarne plus particulièrement cette position des congressistes: faire appliquer la loi sur le travail aux emplois de soins à domicile qui nécessitent une présence 24h/24, et donc où très souvent les employé-e-s logent chez l’employeur-euse. Le travail domestique est en effet exclu de la couverture assurée par la loi sur le travail. Des contrats-types de travail ont certes été adoptés dans certains cantons et au niveau fédéral mais la protection dans ce domaine reste lacunaire. Ces emplois, qui augmentent notamment en raison de politiques d’austérité mettant à mal le service public, continuent ainsi d’échapper à la principale législation en matière de droit du travail, laissant les personnes qui les occupent dans une grande précarité et à l’abri des regards2>«Travail domestique en Suisse. Défis liés à la réglementation d’un emploi atypique», Karine Lempen et Rachel Salem, 2016.. Or, malgré les mobilisations de quelques associations et syndicats3>Cf. le Syndicat interprofessionnel de travailleuses et travailleurs (SIT) à Genève, ou le réseau Respekt, à Bâle., assurer des conditions de travail satisfaisantes dans ce secteur ne semble pas être une priorité des agendas politiques, féministes y compris.

L’histoire des luttes nous rappelle qu’il existe une tension au sein des féminismes occidentaux au sujet des revendications liées au travail. «Pouvoir travailler et devoir travailler sont deux choses différentes», rappelait bell hooks en 19844>De la marge au centre – Théorie féministe, bell hooks, Cambourakis, 1984.. Par cette phrase, l’écrivaine afro-féministe soulignait que l’accès à l’emploi pour les femmes confinées jusque-là au foyer ne rejoignait pas complètement les préoccupations des femmes les plus précaires déjà présentes sur le marché du travail. Plus tard, la concentration des revendications féministes sur l’égalité salariale et sur les possibilités de carrières féminines a confirmé la place écrasante que les femmes blanches et bourgeoises avaient au sein de ces mouvements. Certaines acquisitions en matière de droits au travail, si absolument légitimes et fondamentales, se sont ainsi faites au détriment des revendications des plus précarisées. Plus problématique encore, les progrès de certaines femmes ont été réalisés non pas par un réaménagement de la répartition des tâches entre femmes et hommes, mais sur le dos d’autres femmes. En effet, l’accès progressif au travail pour celles qui en étaient exclues par le patriarcat a été possible par la sous-traitance à des salariées étrangères et/ou racisées. Sara Farris frappait donc juste lorsqu’elle demandait en titre d’un de ses articles: «Féministes de tous les pays, qui lave vos chaussettes?».

La scène se rejoue ici et maintenant. Les revendications récentes en matière d’égalité salariale et de meilleure protection des personnes actives dans l’économie domestique rappellent à quel point certaines catégories de travailleuses sont différenciées tant dans la loi que sur le terrain des luttes. Des syndicats aux associations de femmes entrepreneuses, de vastes réseaux se mobilisent pour que l’égalité salariale soit réalisée. Et quand le parlement suisse rejette des mesures concrètes pour appliquer l’égalité salariale, les femmes de tous bords crient d’une seule voix: nous sommes en colère. Mais qu’en est-il des travailleuses domestiques?

La grève des femmes qui se profile en Suisse pour 2019 est un évènement qui permettra discussion et visibilité pour les luttes de celles qui n’ont pas bénéficié de l’avancée matérielle des dernières luttes féministes. Comme cela a pu être le cas lors de la grève du 14 juin 1991. Exiger une véritable égalité salariale et soumettre le travail domestique à la loi sur le travail sont deux revendications intrinsèquement liées qui permettent la revalorisation des activités dites féminines. Afin d’augmenter le pouvoir économique des femmes en tant que groupe, les luttes doivent s’activer pour enfin replacer les marges au centre, comme le disait hooks.

Notes[+]

* Respectivement docteure en droit et secrétaire syndicale.

Opinions Chroniques Djemila Carron et Marlène Carvalhosa Barbosa ENTRE SOI.E.S

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lundi 8 janvier 2018

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