Chroniques

Fi les cornes!

A rebrousse-poil

Cette expression, on l’entendait dans le préau de mon enfance. Stigmatisant un camarade ayant fait quelque chose de pas joli joli, elle était obligatoirement accompagnée d’un geste: main pointée en avant, index et auriculaire dressés, les trois autres doigts repliés. L’action dénoncée était souvent dérisoire, mais l’important était que l’accusé, relégué au rang de minable, avait été démasqué, et qu’il ne méritait plus que le mépris des autres écoliers.

Rappel: En 2007, les communes de Juriens, de Mont-la-Ville, de La Praz, de Vaulion, la ville d’Yverdon-les-Bains ainsi que le Service d’électricité de la ville de Zurich (EWZ) rendent public le projet d’un parc industriel éolien sur les crêtes du Mollendruz. Financé à 50% par les Zurichois, il devrait comporter 12 machines, chacune de 210 mètres de haut, réparties sur trois communes.

(Remarque: les opposants1>1Voir ma chronique «Eoliennes», Le Courrier du 13.09.2016. à l’industrialisation forcenée de nos crêtes, qui se battent pour préserver leur environnement, sont fréquemment qualifiés de «nimby» par la partie adverse. Cet acronyme signifiant «Not In My BackYard», «Pas dans mon arrière-cour», laisse entendre qu’ils ne sont que d’affreux égoïstes, insensibles à l’intérêt général, soucieux uniquement de leur petit confort. Les promoteurs, eux, sont bien sûr des bienfaiteurs de l’humanité. Questions: pourquoi les Zurichois et les Yverdonnois n’érigent-t-ils pas leurs éoliennes dans leur propre arrière-cour, au lieu de venir les planter dans celle des naïfs jurassiens? Qui sont vraiment les «nimby»?)

En 2018, le 18 janvier, les Conseils généraux de deux communes (Juriens et Mont-la-Ville) acceptent le plan d’affectation rendant possible l’implantation de ces machines sur leur territoire. Mais, patatras! le législatif de la troisième commune concernée, La Praz, refuse ce même plan: coup de tonnerre dans le ciel serein des proéoliens! Des citoyens, par leur vote, font capoter un projet vieux de dix ans, et devant rapporter de juteux bénéfices! Et cela à une majorité nette de 66% de non contre 33% de oui!
Bon, d’accord: le Conseil général de La Praz (160 habitants) comptait jusque là 20 conseillers. Dix de plus ce soir-là se sont fait assermenter, qui ont pu faire pencher la balance.

Il en faut plus pour arrêter le lobby proéolien: de gros sous sont en jeu. Quelques jours plus tard, on apprend qu’une nouvelle votation va être organisée très rapidement, au prétexte que les nouveaux assermentés, «uniquement pour l’occasion» (dixit la Municipalité), n’ont pas eu le temps d’étudier à fond le dossier du parc industriel.
Je ne connais pas de république bananière, sur la planète, où pareille entourloupe pourrait être commise sans provoquer une tempête de protestations. Mais dans le canton de Vaud, c’est légal. Ce que confirme d’ailleurs le Conseil d’Etat, tout acquis aux éoliennes – donc juge et partie –, qui rejette d’un revers de la main un recours des opposants.

Indigné, j’écris à l’exécutif de la petite commune, en lui suggérant de faire graver sur le fronton de sa Maison de ville la phrase de Bertold Brecht: «Puisque le peuple vote contre le gouvernement, il faut dissoudre le peuple.» A ce jour, je n’ai reçu qu’une réponse convenue, mais hélas aucune confirmation que ma proposition avait été prise en compte.

Le 21 mars, la population de La Praz est invitée à une réunion «d’information», qui se tient à huis clos. Sur la petite dizaine d’intervenants, face au rouleau compresseur des promoteurs, seul un représentant des opposants peut s’exprimer, pendant dix minutes, au début de la séance. Sous d’autres cieux, en d’autres temps, on aurait appelé ça une séance de propagande ou d’endoctrinement…

Le 27 mars, après qu’une cinquantaine de nouveaux conseillers se sont fait assermenter (uniquement pour l’occasion?), le Conseil général accepte le plan d’affectation, par 54,5% de oui.

La farce est jouée, circulez, y a plus rien à voir!

Questions: qu’est-ce qui rend la seconde votation plus valable que la première? Les 50 nouveaux conseillers ont-ils, eux, étudié à fond le dossier (130 pages, 1,105 kg d’études)? Plus grave: n’a-t-on pas là ouvert un funeste boulevard devant ceux qui dénigrent le jeu démocratique et affirment: «De toute façon, ils font ce qu’ils veulent»?

En attendant qu’on éclaire ma lanterne, je vais avec bonheur faire un bond de soixante ans dans le passé, revêtir mes culottes courtes, retrouver mon vieux préau, et dire au Conseil d’Etat vaudois ainsi qu’à la Municipalité de La Praz: Fi les cornes!

Notes[+]

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lundi 8 janvier 2018

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