Chroniques

Quand on me parle de culture…

A rebrousse-poil

Depuis que le confinement tient les artistes éloigné·es du public, combien de fois les voix autorisées ont-elles répété que si ces gens voulaient survivre, il fallait qu’ils se transforment? Qu’ils et elles devaient tenir compte des expériences imposées par l’épreuve pour adapter leurs pratiques? Bien… Mais avez-vous souvent entendu la même injonction s’adresser aux politicien·nes, aux financier·ères, aux économistes? Etonnant, non? Le milieu artistique serait donc le seul à être tenu de tirer des leçons du choc de la Covid, et le reste de la société pourrait, l’âme sereine, reprendre son train-train d’avant 2020?

Un jeune politicien ultralibéral claironnait l’autre jour, satisfait de lui-même, que son système avait admirablement bien résisté à la pandémie. Indigné, j’aurais voulu le secouer par la cravate et lui demander: à quel prix? Au prix de combien de morts, de suicides, de dépressions, d’épuisement, d’angoisse, de sacrifices, de faillites, de malheur?

Ces deux questions, vous auriez pu les entendre au cours d’un débat, la semaine dernière. J’explique.

Il y a une année, premier confinement. Des voix s’élevaient partout, qui exploraient des pistes vers le monde d’après, qui serait forcément meilleur. Chez nous, entre autres, l’Appel du 4 mai adressé aux Chambres fédérales muni de 53 000 signatures; le livre Tumulte post corona, aux Editions d’En Bas, réunissant les réflexions d’une cinquantaine de personnalités; et sur le net, le Manifeste 2020, pour ne pas revenir à l’a-normalité.

Un an plus tard, rien n’a changé. Les mêmes responsables sont au pouvoir, les politicien·nes qui, hier, appelaient à l’affaiblissement du service public tiennent le haut du pavé. Et le bon peuple ne rêve que d’un retour rapide au monde d’avant, où l’on retrouvera les conditions qui ont favorisé le développement de la crise, et qui permettront joyeusement l’éclosion des suivantes. Le vieux monde est coriace, il faudra plus qu’un virus pour l’abattre. Mais, comme la graine dans la dune, l’espoir est têtu. Et les idées restent vivantes, même si elles ne sont pas, momentanément, sous les feux des projecteurs.

Pour remettre ces idées en lumière, un rapprochement s’est opéré entre les auteur·es de Tumulte et celles et ceux du Manifeste 2020. Les Editions d’En Bas viennent de publier ce Manifeste sous forme de livre, et il était projeté d’organiser une série de débats publics autour des thèmes abordés dans les deux ouvrages. La situation sanitaire a fait renvoyer ces échanges à plus tard. Ils ont été remplacés par dix rencontres thématiques, réunissant à chaque fois quelques personnes présentes dans Tumulte ou le Manifeste, et diffusées par vidéo. Elles sont visibles sur le site d’En Bas1 YouTube: Editions d’en bas. Accès direct: https://bit.ly/3u91hY9.

Ayant été désigné volontaire, j’ai dû – avec plaisir – assumer le rôle de l’animateur pour un débat dont le thème était la culture. Heureusement, j’ai pu m’appuyer sur les connaissances et les compétences d’Isabelle Pannatier (ancienne directrice de la Ferme Asile, à Sion, programmatrice et animatrice de projets artistiques et culturels), d’Anne Papilloud (secrétaire générale, syndicat suisse romand du spectacle), et de Christophe Gallaz (écrivain et chroniqueur).

Sans prétendre embrasser l’ensemble du sujet, outre les deux questions signalées au début de cette chronique, et après avoir rappelé l’importance de l’art dans l’épanouissement de l’humain et de la société, nous avons tenté d’établir un état des lieux. Tout en reconnaissant les soutiens financiers fournis par les autorités, il a fallu relever la situation dramatique dans laquelle se trouvent nombre d’acteurs du monde culturel, la tristesse qui les habite, le peu de perspectives de retrouver rapidement le public, et la solidarité qui perdure pourtant. Les répétitions, les tournages, l’écriture se poursuivant dans l’ombre, nous nous sommes interrogés sur un possible embouteillage dans les lieux de spectacle dès les beaux jours revenus. Nous avons constaté que l’argent public destiné à ce bien commun n’allait souvent pas vers des institutions les plus populaires, et avons vu, dans l’obéissance collective dont les gens ont fait preuve jusqu’ici, peut-être un sujet d’inspiration pour des œuvres futures. Enfin, bien qu’étant unanimes pour considérer que l’art doit déranger et contribuer au changement, nous avons dû admettre que cette opinion n’était pas forcément partagée par tou·te·s les artistes.

Bref, nous avons tenté de survoler ce vaste sujet. Ce que j’ai retenu, pour ma part: quand on me parle de culture, j’entends le mot liberté.

 

Notes[+]

* www.michelbuhler.com

Dernier livre: L’autre Chemin, chroniques 2008 – 2018, chez Bernard Campiche Editeur, 2019.

Lire également A.C. Menétrey-Savary et N. Humbert, «La solidarité internationale malmenée» (Contrechamp), Le Courrier, 14 décembre 2020.

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