Impressions de Chine profonde
Des groupes de curieux s'agglutinent autour des joueurs de mahjong ou de cartes. VGF
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Impressions de Chine profonde

Verena Graf est partie un mois à travers le sud-ouest de la Chine à la rencontre des cultures ancestrales des provinces du Sichuan et du Yunnan. Elle nous livre des extraits de ses notes et des images.
Carnets de route

A l’ère de la globalisation, les vicissitudes de l’Empire du Milieu nous étonnent encore par quelques singularités. Dans les provinces reculées du sud-ouest, la Chine, loin de la capitale Beijing, a un aspect moins impérial et plus «peuple». Chengdu, capitale de la province du Sichuan, surtout connue pour sa réserve de pandas et sa cuisine ultra épicée – et dont le plat principal hot pot ressemble fort à notre «fondue chinoise» –, compte 15 millions d’habitants. Ses super autoroutes sont omniprésentes et passent au cœur même de la ville, contournant les hauts immeubles locatifs et immenses hôtels cossus dont les cimes s’effacent dans un brouillard de pollution. Tout est immensément grand, gigantesque et surfait. Rolls-Royce et Bentleys attendent dans les showrooms les nouveaux millionnaires, pendant que de luxueuses limousines – Mercedes-Benz, VW, également des japonaises et des coréennes – roulent au pas au milieu des motos et des vélos sans lumières. Ces derniers semblent glisser silencieusement de toutes parts. Toutefois, en fin d’après-midi et le soir, femmes et hommes se retrouvent sous les arbres d’un parc longeant la rivière Jin et dansent rythmiquement au son de la musique d’un transistor. Les parcs sont le lieu de multiples activités. Ici, une pédicure soigne ses patients installés sur des bancs de jardin. Ailleurs, des groupes de curieux s’agglutinent autour des joueurs de mahjong ou de cartes (photo ci-dessus).

A un millier de kilomètres de là, dans la province voisine du Yunnan, se trouve la préfecture autonome de Dali, soit le chef-lieu de l’ethnie Bai, estimée à 1,9 million de personnes. Sa pittoresque vieille-ville (photo ci-dessous) est située à l’intérieur d’anciens remparts au pied des monts Cangshan, au bord du lac Erahi. Le temple Chong Sheng et ses trois pagodes en font un haut lieu d’attraction, très prisé des touristes chinois.

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Au nord de Dali, Lijiang est lovée dans une vaste plaine fertile au pied de gigantesques montagnes de 4000 m d’altitude, sur la route sud de la soie. Avec son habitat architectural ancien demeuré intact, ses ruelles pavées, ses nombreux cours d’eau reliés par de petits ponts, la ville est aussi un immense ensemble d’échoppes et de boutiques artisanales – objets, vêtements et broderies anciennes qui sont à l’origine des costumes traditionnelles. Entre insectes et autres vermines préparés illico presto, on peut y manger un pied de cochon grillé au chalumeau de soudure, accompagné d’étourdissantes musiques ni chinoises ni occidentales. Selon Liu Pei, jeune touriste chinoise, «Lijiang est loin de Beijing, ce qui attire beaucoup de jeunes en quête de vie plus libre et sans règles».
La province du Yunnan compte à elle seule 22 ethnies, sur les 56 «nationalités» – dénomination officielle – recensées en Chine et au rang desquelles l’ethnie Han est majoritaire à plus de 90%. Au-delà des diverses minorités ethniques (Yi, Mosuo, Bai) qu’elle abrite, la préfecture de Lijiang est le fief de l’ethnie Naxi, dont la population avoisine les 300 000 personnes, là où les Han sont majoritaires à 57%.

La culture naxi se caractérise elle aussi par la musique, dont l’origine remonte à Confucius. Pratiquée par des musiciens âgés de plus de 80 ans, elle se transmet de génération à génération (photo ci-dessous). Elle a véhiculé durant des siècles un haut niveau de compréhension éthique et, sans être taoïstes, les Naxi auraient intégré beaucoup de la sagesse taoïste. Ils pratiquent le bouddhisme tibétain et les nombreux monastères, lamaseries, temples et pagodes visibles à Lijiang en témoignent. Leur architecture typique se reconnaît par ses arches et ses voûtes, ses toitures en tuiles noires avec embouts décoratifs, frontons et pignons ondulés, et en outre par l’omniprésence d’un bestiaire fantasmagorique de dragons et de lions. Les divinités sont couvertes d’offrandes, principalement des pommes rouges, des melons et des oranges.

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Chez les Naxi, plusieurs générations cohabitent parfois sous le même toit familial. Si le mariage libre est venu peu à peu remplacer l’union imposée par la famille (photo ci-dessous), le matriarcat est en revanche toujours pratiqué. Une jeune femme affirme que c’est bien elle qui tient les rênes, mais c’est aussi elle qui travaille et amène l’argent à la maison, fait le ménage, la cuisine et s’occupe de l’éducation de sa fille. C’est ainsi que cette dernière fréquente l’école de tradition dongba, à l’origine de la culture naxi, qui enseigne l’usage de l’alphabet ancestral de type hiéroglyphique, encore pratiqué et reconnu par l’Unesco comme patrimoine culturel de l’humanité.

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Jadis, les hommes naxi s’adonnaient autrefois à la culture du thé et à la fabrication artisanale et de la vente de bijoux en argent et en laiton. Cette dernière activité perdure grâce au tourisme. Dans les campagnes, les femmes naxi sont renommées pour l’élevage des yacks, la culture de pommes de terre et de fleurs pour l’huile et le vin. Aujourd’hui, les Naxi travaillent beaucoup dans le secteur du tourisme en tant que guides-accompagnateurs de randonnées sur les chemins des anciennes caravanes des hautes montagnes vers le Tibet. Comme toutes les autres «nationalités», les Naxi sont représentés au gouvernement local sans obligation d’appartenance au Parti communiste.

* Activiste pour le droit des peuples, Genève.

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