8 mars et revendications féministes
«En fait, chaque pouce de terrain gagné l’a été par la lutte constante, par une incessante auto-affirmation, et non par le suffrage. Il n’y a aucune raison de penser, dès lors, que la femme, dans sa volonté d’émancipation, a été ou sera jamais soutenue par les urnes. […] Son développement, sa liberté et son indépendance doivent venir d’elle et advenir par elle. D’abord en s’affirmant en tant que personne. Puis en refusant à quiconque tout droit sur son corps; en refusant d’enfanter si tel n’est pas son désir; en refusant d’être mise au service de Dieu, de l’Etat, de la société, du mari, de la famille, etc. Et enfin en vivant une vie plus simple, mais également plus profonde et plus riche. […] C’est cela seulement – et certes pas le vote – qui libèrera la femme.1>1 Emma Goldmann citée par Howard Zinn, Une histoire populaire des Etats-Unis De 1492 à nos jours, Marseille, Agone, 2002.»
Il y a un siècle, l’anarchiste Emma Goldmann critique ainsi les femmes socialistes qui concentrent leur énergie sur le suffrage féminin. Les luttes évoquées dans son texte apparaissent jusqu’à aujourd’hui lors des Journées des femmes. Depuis un peu plus de cent ans, celles-ci se sont fait l’écho des revendications féministes: égalité politique, droit de disposer de son corps, salaire égal pour un travail égal, solidarité avec les réfugiées, lutte contre les violences et le harcèlement.
L’idée d’une telle journée remonte au 2e congrès international des femmes socialistes à Copenhague en 1910. Probablement inspirée par la mobilisation organisée en 1908 à Chicago, Clara Zetkin fait voter une résolution pour instaurer une Journée des femmes, afin d’imposer aux partis socialistes la revendication pour le suffrage féminin et de souligner la nécessité d’une alliance transnationale des femmes.
Si le droit de vote féminin reste présent longtemps, il est éclipsé par le thème de la paix pendant la Première Guerre mondiale. Dans les années 1920, d’autres revendications s’ajoutent à la paix et au suffrage: la légalisation de l’avortement, la défense de la journée de 8 heures et la lutte contre la réduction des salaires. Pendant la décennie suivante, le droit de vote passe au second plan, tandis que la situation économique et politique pousse les femmes à se mobiliser sur les questions du travail et en faveur des victimes des régimes fascistes et nazis. Elles revendiquent aussi dans les années suivantes une politique d’asile plus clémente pour les réfugié-e-s.
Après 1945, les mobilisations des femmes sont moins nombreuses. Mais dès 1968, les féministes se réunissent dans de nouvelles associations (Mouvement de libération des femmes). Elles prennent conscience que leurs droits sont négligés au sein de la gauche et que les partis et les groupes politiques reproduisent souvent la domination masculine dans leurs structures et dans la division du travail entre femmes et hommes. Cet élan renouvèle la dynamique des Journées des femmes. Les féministes ajoutent de nouveaux thèmes aux droits politiques et économiques. Elles réclament une reconnaissance du travail féminin gratuit et dénoncent l’exploitation sexuelle. Elles luttent aussi pour le droit à l’avortement. Le 1er mars 1969, des militantes marchent sur Berne contre l’intention du Conseil fédéral d’adhérer à la Convention européenne des droits de l’homme sans accorder le suffrage aux femmes.
A cette époque, la Journée des femmes, auparavant célébrée à des dates variables, se fixe au 8 mars. Les communistes avaient déjà choisi cette date après la Première Guerre en référence à une manifestation d’ouvrières à Saint-Pétersbourg en 1917.
L’ONU fait de 1975 «l’Année internationale de la femme», afin de porter l’attention sur les droits politiques, économiques et sociaux féminins. Dans les années suivantes, les femmes de Suisse organisent une manifestation nationale et adoptent un mot d’ordre. Aux revendications déjà énoncées s’ajoutent la lutte contre les violences faites aux femmes en 1977, contre l’hétérosexualité forcée en 1979, l’opposition au relèvement de l’âge de la retraite en 1985, la protection des réfugiées en 1986, la répression du viol conjugal en 1987 et du harcèlement sexuel au travail en 1988. Dès la fin des années 1960, les femmes manifestent dans la rue alors qu’avant elles se rassemblaient plutôt à l’intérieur pour écouter des discours et chanter.
Aujourd’hui, la plupart de ces revendications gardent leur actualité. En Suisse, tous les neuf jours, un homme tente d’assassiner sa compagne. Le Conseil des Etats vient de renvoyer en commission une proposition pourtant peu contraignante de loi sur l’égalité au travail, alors que les femmes gagnent en moyenne 18% moins que les hommes. Les discriminations touchent aussi les personnes trans* et intersexes.
Demain, dans toute la Suisse des femmes se rassembleront pour réclamer une égalité au travail, la fin du sexisme, des violences et du racisme, suivant notamment les syndicats. L’«Appel d’elles» en faveur des femmes réfugiées sera déposé à Berne. A Genève, aura lieu une grande manifestation inclusive revendiquant la fin du racisme, des violences contre toutes les personnes qui sont victimes de la domination masculine, qui luttent pour pouvoir vivre leur vie comme bon leur semble, sans discrimination. Alors, demain, nous irons manifester!
Notes
A lire: Katrin Holenstein, Elisabeth Ryter, Drapeaux rouges – foulards lilas. 8 mars L’histoire de la Journée internationale des femmes en Suisse, Berne, Bureau de l’égalité entre femmes et hommes, 1993.