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Malentendu autour d’une pétition

Médiatisé en tant que signataire d’une pétition demandant une justice équitable pour Tariq Ramadan, Dominique Ziegler déclare ne pas l’avoir signée. Et appelle à la retenue face à une affaire «à la croisée des chemins» entre violences faites aux femmes et islamophobie.
Réaction

Jeudi 22 février, je découvre avec stupéfaction un tombereau d’insultes sur Facebook et des messages injurieux sur ma boîte mail relatifs à une pétition que j’aurais signée. Je découvre ensuite, via un article du Temps, le lien à une pétition sur le site Mediapart, au bas de laquelle figure mon nom à la suite de ceux d’une trentaine de personnalités. Ma stupéfaction est totale, et pour cause: je n’ai jamais signé cette pétition!

Je lis le texte, intitulé «Une justice impartiale et égalitaire pour Tariq Ramadan» et signé par des gens estimables, comme Didier Lestrade, militant de la cause homosexuelle et fondateur d’Act Up, Christine Delphy, intellectuelle et militante féministe historique, Joan Scott, historienne américaine réputée, parmi d’autres intellectuel-le-s, artistes, militant-e-s antiracistes, féministes ou LGBT de renom. Le texte est équilibré. Il condamne le viol et toute forme de violence envers les femmes. Il ne pose aucun diagnostic sur la culpabilité ou l’innocence de Tariq Ramadan. Et il s’interroge sur les raisons de l’acharnement judiciaire à l’égard de l’islamologue, sur lequel pèsent de graves accusations, mais dont les droits fondamentaux sont bafoués.

Dans un climat d’islamophobie extrêmement puissant à tous les échelons de la société française, les signataires questionnent le «deux poids deux mesures» qui semble caractériser le traitement judiciaire de l’affaire et dénoncent le «tribunal médiatique» qui a d’ores et déjà transformé le suspect en coupable. Ces arguments me semblent légitimes. Mais, en ce qui me concerne, la réalité est la suivante: je n’ai jamais signé ce texte!

Je décide de comprendre comment il est possible que mon nom figure au bas d’un texte sans mon approbation. Je retrouve sur ma boîte mail un ancien message d’une amie militante antiraciste française, adressé à tous ses contacts, leur demandant s’ils sont prêts à signer la pétition figurant en pièce jointe. Je n’y avais pas répondu. Je laisse un message sur le combox de cette amie et, dans l’attente de son appel en retour, je tente d’élucider cette histoire en me tenant à distance des injonctions redoutables qui s’accumulent sur Facebook et sur mon compte mail.

Mais le temps du recul, de la réflexion et de l’enquête n’est pas celui du temps médiatique et de l’immédiateté des réseaux sociaux. La RTS cherche à m’atteindre et me presse, via sms, de lui répondre. Happé par des impératifs professionnels, je ne donne pas suite au message, partant du principe que la RTS relaiera les éléments essentiels du texte sans se focaliser sur le détail des signataires.

C’était oublier la soif de sensationnalisme. La RTS, à l’instar de la presse suisse, a décidé de se focaliser sur mon nom, qui ressort dans les journaux en tête des signataires. Vendredi 23 février, reportage au TJ-soir sur le sujet: pas de présentation d’extraits significatifs du texte ni citation expresse des signataires, si ce n’est moi, présenté comme un soutien de Tariq Ramadan qui refuse de répondre, avec de vieilles images d’archives hors contexte, sur lesquelles j’apparais, son coupé.

Le lendemain, mon amie militante à l’initiative du recueil de signatures pour la pétition, ayant constaté l’erreur me concernant, s’excuse et me promet de faire le nécessaire pour enlever ma signature de la pétition originelle sur Mediapart. Ces choses peuvent arriver dans le monde militant, je ne lui en veux pas, l’affaire est réglée. Mais le temps de découvrir ma fausse signature, de chercher les causes, et de résoudre l’affaire, un jour et demi s’est écoulé. Trop, pour notre époque ultra-connectée. Les gens ne réfléchissent plus: ils réagissent et aboient.

Je n’ai pas de leçons à recevoir des moralistes de circonstance qui m’ont insulté ou demandé des comptes ces derniers jours. Je n’ai pas attendu l’affaire Weinstein pour soutenir la cause féministe et antipatriarcale, elle fait partie de mon ADN politique (lire, entre autres, ma chronique «Viols en Suisse», dans Le Courrier du 5/10/2016).

Je ne sais que penser de l’affaire Ramadan. Je respecte l’intellectuel, je ne connais pas l’homme. Les femmes plaignantes doivent être entendues et respectées. Tariq Ramadan a droit à la présomption d’innocence et à des traitements humains, parmi lesquels ceux de voir sa famille.

La violence masculine, le viol me répugnent, l’islamophobie et tous les racismes m’écœurent. Cette affaire est à la croisée de beaucoup de chemins, elle mérite temps et analyse. Je respecte les gens qui ont signé la pétition sur Mediapart, comme je respecte l’attitude des militantes de l’association afro-féministe Mwasi, qui manifestent un point de vue inverse via des tribunes politiques. Mais je conspue le phénomène de meute, les médias incendiaires, l’opinion publique qui lui emboîte le pas, les faux féministes et vrais islamophobes qui sautent sur l’occasion sur l’air du «on vous l’avait bien dit».

Pour en savoir plus sur l’effet de meute, (re)lisez Un ennemi du peuple d’Ibsen ou La Visite de la Vielle Dame de Dürrenmatt. Certes, la lecture d’une pièce de théâtre, comme la réflexion, prennent du temps. Ce qui, à l’ère de l’immédiateté technologique et du retour à l’aboiement primitif est parfaitement hors de propos. Triste époque.

* Auteur-metteur en scène.

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