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Apaiser l’impérialisme russe ou le peuple ukrainien ?

Membre du Comité Ukraine-Vaud, Daniel Süri réagit à l’opinion de notre invitée Alison Katz: «Réhabiliter la politique de l’apaisement», récemment publiée en page Contrechamp.
Réaction

Dans la page Contrechamp du 4 mars, l’invitée du Courrier, la militante pacifiste Alison Katz, déploie un long plaidoyer pour une politique d’apaisement à l’égard de la Russie. En reprenant sur nombre de points le narratif géopolitique de Vladimir Poutine et de [son chef de la diplomatie] Sergueï Lavrov justifiant l’entrée en guerre de l’impérialisme russe. Et au prix de quelques contorsions historiques et argumentatives.

Dans un premier temps, A. Katz nous présente une Russie constamment à la recherche de la paix et un camp occidental arc-bouté derrière une politique agressive. Il ne s’agit pas de nier ici le caractère belliqueux de l’OTAN. Mais réduire les relations entre l’Occident et la Russie, souvent diversifiées et hétérogènes, à un affrontement binaire entre le bien et le mal débouche sur une présentation caricaturale. L’extension de l’OTAN dans l’Europe de l’Est prend des allures de complot de l’impérialisme américain, sans que soient interrogés une seconde les motifs pour lesquels les gouvernements de la région – avec le soutien d’une bonne partie de la population – ont jugé bon de se prémunir ainsi contre une menace militaire extérieure. Sauf que, quelquefois, la plume est traîtresse. A. Katz n’écrit-elle pas qu’après la chute de l’URSS, les pays de l’Est ont pu se «libérer» sans résistance? Se libérer? De la politique de paix soviétique? Ou d’une présence oppressive, répressive et écrasante, en particulier en Ukraine?

Tout en louant ainsi la retenue de l’URSS en voie de disparition – retenue largement due à une impossibilité matérielle et économique de maintenir ses troupes en dehors de la Russie –, A. Katz en vient aux offres de paix de la Russie en décembre 2021 (sept ans donc après l’invasion de la Crimée…). Elle présente le contenu de l’article 4 du projet d’abord ainsi: plus aucune expansion de l’OTAN vers l’Est et pas de bases militaires sur le territoire des Etats de l’ex-URSS non membre de l’OTAN. Le hasard de la mise en page place à la même hauteur, sur la colonne suivante, la description de cet article par le Guardian, jugé exact à une précision près (nous y reviendrons) par A. Katz. Or il n’y est pas question de nouvelle extension à l’Est, mais bien de retrait des armes et des troupes de l’OTAN de tous les pays entrés dans l’alliance après 1997. Soit de la plus grande partie de l’Europe de l’Est, pays baltes et des Balkans compris!

Voilà une non-extension remarquable! Comme l’est la précision apportée par A. Katz et «oubliée» par le Guardian: la Russie s’engagerait à ne pas déployer ses troupes dans ces pays. On rêve là? Comment la Russie pourrait-elle déployer ses troupes dans des pays s’y refusant, sinon par l’agression? La concession n’en est pas une et la proposition de paix est une vaste tromperie.

Sa vraie fonction est révélée par un communiqué de presse du Ministère russe des affaires étrangères, commentant le refus américain de ces propositions de décembre 2021. Nous sommes le 17 février 2022. Noir sur blanc, le communiqué explique: «Il n’existe aucune invasion réelle ni planifiée de l’Ukraine, malgré tous les propos avancés depuis l’automne dernier par des responsables des Etats-Unis et de leurs alliés.» Une semaine après, l’invasion de l’Ukraine commençait. Les plans de paix n’étaient qu’un écran de fumée à travers lequel seul·es les plus crédules n’ont rien voulu voir. Ce qui n’empêche pas A. Katz, décidément obstinée, mais démentie par ses propres sources, d’affirmer en fin d’article que Poutine ne demande à aucun pays de se retirer de l’OTAN!

Il y a quelquefois des notes de bas de page plus parlantes que le reste du texte. Ainsi en note 5, il est dit que «reconnaître l’illégalité de l’invasion russe n’empêche pas les tentatives d’apaisement». Il semblerait dès lors logique de demander, préalablement à tout apaisement (c’est-à-dire à toute négociation), un retrait de ces troupes russes, responsables d’une agression illégale. On chercherait pourtant en vain cette revendication de bon sens dans la contribution d’A. Katz. L’apaisement se fera donc le pistolet sur la tempe du peuple ukrainien, dont la voix est absente de ce texte.

Reconnaissant que la politique d’apaisement a mauvaise presse, depuis l’éclatant échec qu’elle connut à Munich en 1938, l’auteure n’en tire toutefois pas la conclusion que sa duplication aujourd’hui ne réussira, pas plus qu’hier, à arrêter un tyran prétextant se soucier du sort des minorités linguistiques pour justifier sa soif d’expansion.

Précision d’Alison Katz

Le Comité de solidarité avec le peuple ukrainien et les opposant·es russes à la guerre affirme que «réduire les relations entre l’Occident et la Russie, souvent diversifiées et hétérogènes, à un affrontement binaire entre le bien et le mal débouche sur une présentation caricaturale». Je suis entièrement d’accord avec cette affirmation. Dans mon plaidoyer pour l’apaisement et pour la diplomatie de la paix, j’affirme clairement que le bien, c’est le bien-être et la sécurité des peuples (au pluriel) et le mal, c’est la guerre et le refus de négocier. AK

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