Hymen, furieux fantasme
Le culte de l’hymen ne date pas d’hier. A l’image du drap de noces exigé sanglant, il a engendré nombre de pratiques honteuses; et produit, lorsque les femmes ne s’y conformaient pas, des souffrances sans fin allant de l’exclusion sociale à la mise à mort pure et simple. Aujourd’hui, la chirurgie esthétique vient au secours de ce furieux fantasme que l’on a pu croire affaibli.
Les demandes de reconstruction de l’hymen restent rares dans nos contrées, il est vrai. Et tout comme le drap faussement taché, l’hymenoplastie fait partie de l’arsenal des stratégies de survie possibles contre les mainmises culturelles ou religieuses. Une telle offre chirurgicale contribue néanmoins à renforcer l’emprise sur le corps des femmes. Affichée par des cabinets médicaux d’allure moderne, elle légitime une exigence obscurantiste: «La société vous veut vierge et nous vous aidons à vous y conformer».
Dans une logique capitaliste, l’intimité émotionnelle et sexuelle équivaut à la simple courbure d’un nez ou au relâchement d’une paupière. L’hymenoplastie est même vantée comme une façon de tirer un trait sur un épisode douloureux de son passé (rupture sentimentale, viol, etc.). Libre à chacune, bien sûr, de convoquer toute aide qui soit à l’appui d’une guérison. Et libre à chacun. Mais a-t’on jamais suggéré à un homme de retoucher son sexe après une déception amoureuse? Les corps ont une histoire, que les uns et les autres sont libres d’écrire ou de réécrire, guidés par leurs normes personnelles. Mais lorsque la chirurgie esthétique se fait prescriptrice, il y a de quoi s’inquiéter.
C’est ce que font des artistes, et depuis longtemps. Dans les années 1960, les féministes luttaient déjà contre l’invisibilité de l’anatomie féminine en diffusant des planches illustrées – qui a oublié le délicieux ravissement de l’héroïne du Droit divin, lorsqu’elle se découvre abriter un «vagin-tigre»? Signe d’actualité tenace, plusieurs projets artistiques thématisent à nouveau cette diversité anatomique pour lutter contre les stéréotypes diffusés, cette fois, par l’industrie du porno, qui font exploser les labioplasties chez des jeunes filles déjà soucieuses de remodeler leur sexe. Si la manifestation est différente, le constat est le même que pour l’hymenoplastie: la société n’a pas fini de faire son marché sur le corps des femmes.