Chroniques

Marchandisation de la vie

(Re)penser l'économie

Vous l’aurez sans doute remarqué, lorsque des militants bien intentionnés veulent faire avancer les idées qu’ils défendent, ils en viennent rapidement à calculer le coût économique de la situation qu’ils contestent. Dans l’espoir de convaincre les décideurs que les changements proposés permettront de faire des économies, voire de réaliser des bénéfices.

Prenons l’exemple de la pollution atmosphérique. En partant des données de l’Agence européenne de l’environnement, un site présente un calculateur qui fait défiler le coût en euro de la pollution depuis le 1er janvier de l’année. On apprend ainsi que ce coût équivaut à 6000 euros par seconde et à 189 milliards par an, représentant l’équivalent du PIB finlandais de 2012. Ce chiffrage, bien entendu, ne soulagera pas la douleur de la personne souffrant d’asthme lors de pics de pollution. Autre exemple, le coût du tabagisme en Suisse qui est évalué à 10 milliards de francs (dont 1,7 milliard pour les traitements médicaux, 3,9 milliards pour l’absentéisme au travail et l’invalidité et 5 milliards pour la perte de qualité de vie). Ainsi la perte de qualité de vie est, elle aussi, monétarisée.

Ce sont les mêmes types de calculs économiques auxquels procèdent les assurances en vue d’indemniser les proches d’un assuré décédé: on tient compte de son niveau de rémunération et de la perte économique pour son conjoint. De ce fait, l’épouse d’un cadre bancaire sera davantage indemnisée que celle d’un maçon. La valeur de la vie est réduite à la valeur de la vente de la force de travail selon le ­marché.

Que signifient ces diverses manières de «calculer» la valeur de la vie dans le fonctionnement du capitalisme réellement existant? Tout d’abord, à la base des calculs des coûts pour une entreprise, n’interviennent que ceux qui lui sont directement facturés. Ainsi, tous les coûts externalisés, c’est-à-dire reportés sur la société et payés par elle, ne sont pas pris en compte. Prenons l’exemple de Monsanto, avec son herbicide Roundup, à base de glyphosate, aujourd’hui reconnu comme probablement cancérigène. La pollution des eaux qui peut découler de son usage n’existe pas pour la firme transnationale. A aucun moment le coût d’une dépollution des eaux n’intervient dans le calcul de son prix.

En revanche, cette externalisation des dommages peut être une source de profits très intéressante pour le capital par le biais d’investissements dans le traitement des eaux! Pris globalement (car ce ne sont pas toujours les mêmes acteurs qui investissent dans l’un ou l’autre des domaines), le capital ressort gagnant de ce processus que l’on peut imager sous la formule: pile je gagne, face tu perds.

Chaque fabriquant pris isolément, chaque entreprise petite ou grande, n’appréhende la réalité que sous l’angle du calcul économique à court terme et ne peut, sans risquer la survie de son entreprise en raison de la concurrence, répondre aux nécessités de protection de la vie et de l’environnement. Sauf s’il y est contraint par la loi et que cette contrainte s’exerce sur l’ensemble des entreprises.

La mort, la séparation, la douleur, le chagrin, tout ce qui est consubstantiel à la vie humaine, n’est pas réductible à une valeur marchande. Dès lors, contester dans le capitalisme ce qui engendre de tels maux ne devrait pas être motivé d’abord par le «coût», mais par l’absolue nécessité de préserver la vie humaine en tant que telle, indépendamment de considérations économiques, souvent défendues au nom de l’emploi.

* Membre de SolidaritéS, ancien député.

Opinions Chroniques Bernard Clerc

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