Un poignard dans le dos
Il fallait une sacrée charge symbolique pour contrer un mouvement mondial de libération de la parole des femmes témoignant des violences sexuelles et du sexisme ordinaire. Alors est né un collectif de cent femmes qui ont signé une tribune dans Le Monde pour défendre la liberté (des hommes) d’importuner (les femmes), en réaction aux #metoo et #balancetonporc. Avec Catherine Deneuve en figure de proue, les réseaux sociaux en caisse de résonance, le contre-feu se déploie; on salue ces femmes «volant au secours des hommes».
La tribune dénonce un monde virant au puritanisme, refuse de voir les femmes enchaînées à un statut de victimes et craint que la délation n’empoisonne toute relation naissante entre un homme et une femme. Soyons honnêtes: le texte soulève des inquiétudes légitimes. Car à travers le monde et l’histoire, les femmes ont suffisamment subi les conséquences des rigorismes, des postures sacrificielles imposées ou des relations de pouvoir asymétrique pour ne plus vouloir d’une société dirigée par de tels préceptes.
Le problème est ailleurs. Il réside dans les syllogismes ahurissants développés, la mauvaise foi exprimée et les idées réactionnaires qui en émanent. Les propos très médiatisés de certaines signataires laissent pantois. «Si mon mari ne m’avait pas un peu harcelée, peut-être que je ne l’aurais pas épousé», éclaire Sophie de Menthon. Plus grave, le rappel qu’«on peut jouir, lors d’un viol» par Brigitte Lahaie, sans autre contexte. Ou encore la déception de Catherine Millet: «Je regrette beaucoup de ne pas avoir été violée car j’aurais pu témoigner que, du viol, on s’en sort.» Malaise. Et coup de poignard dans le dos de celles qui ont vécu cette violence dans leur chair.
Il y a certes un intérêt à montrer des figures fortes, courageuses, qui se relèvent d’épisodes pouvant blesser au plus profond de l’être. Ces modèles de référence positifs n’ont toutefois pas besoin d’abaisser la position des autres pour élever la leur.
Ce que les esprits conservateurs se bornent à ignorer, c’est que les féministes n’ont aucun problème avec la liberté sexuelle… du moment que les deux partenaires sont sur un pied d’égalité. Ni avec les hommes. Elles en ont avec les discours de domination, qui intiment de souffrir en silence.
Le mouvement #metoo a permis la prise de conscience générale d’une violence quotidienne exercée envers la moitié de la population. Cela peut déstabiliser, mais c’est surtout une avancée à saluer. Des solidarités sont nées de ces hashtags. Grâce au battage médiatique et à la libération de la parole, une femme harcelée a bien plus d’outils pour se défendre et être entendue dans son combat qu’il y a quelques mois à peine. Il s’agit de ne pas s’arrêter au milieu du gué et de profiter du moment pour exercer un changement des mentalités et renverser les logiques patriarcales. I