Chroniques

Les mauvais jours finiront

A rebrousse-poil

Premier jour de l’année, à l’heure du café. Peu à peu émergent de leur lit les amies et les amis avec qui nous avons fait la fête hier soir. Les enfants mal réveillés sont devant leur cacao, une jeune grand-mère berce doucement sa petite-fille encore endormie. Sylvia, levée la première, rapporte de la boulangerie une brassée de croissants. Elle les dépose sur la table, tout en sifflotant.

Qu’est-ce qui lui passe par la tête? La mélodie qu’elle fait renaître a été écrite par Jean-Baptiste Clément, tandis que la Commune de Paris se faisait écraser par les Versaillais. Et les paroles disent, nous le savons:

Oui mais ça branle dans le manche

Les mauvais jours finiront

Et gare à la revanche

Quand tous les pauvres s’y mettront!

Lointain écho, dans notre cuisine, d’un temps où l’on pouvait espérer que les opprimés s’uniraient un jour, et se battraient ensemble contre l’adversaire commun. Ils s’appelaient par des noms de fraternité: camarades, compagnons, citoyens. Ils avaient la conviction qu’un monde juste était possible, et qu’ils le verraient naître bientôt.

Et aujourd’hui?

Aujourd’hui…

Signe des temps:

Le mois dernier dans ma radio, un journal du matin s’ouvre joyeusement sur l’augmentation de près de 13% du nombre de milliardaires sur la planète. Il se conclut par l’annonce du prochain durcissement des mesures de contrainte à l’égard des chômeurs. Aucune question sur l’origine des fortunes des premiers, mais un ton réprobateur pour parler des allocations que reçoivent les seconds.

L’ennemi, ce n’est pas l’exploiteur, pas celui qui s’enrichit d’une façon inimaginable sur le dos de la planète et des autres humains. Non. Celui que l’on couvre d’opprobre, que l’on désigne à la vindicte du bon peuple, c’est le faible, le plus pauvre que soi. Les milliards amassés par quelques spéculateurs, on les admet. Mais il faut poursuivre impitoyablement les «profiteurs» qui survivent chichement de maigres aides.

Il ne s’est pourtant pas passé une semaine, pendant l’année écoulée, sans que viennent au jour de nouvelles forfaitures. «Paradise» après «Panama Papers», trucage des tests antipollution par de grands groupes automobiles, nouvelle forme d’esclavage pratiquée par telle entreprise de vente en ligne, obsolescence programmée de certaines imprimantes, fonctions ralenties de téléphones provoquées par de prétendues mises à jour, usage des «fake news» élevé au rang de sport international.

On sait. On s’est accoutumé. Et pire: maintenant, au lieu de penser à leur faire rendre gorge, on admire et on envie les accapareurs.

Signe des temps encore:

Je me rappelais que Balzac disait: «A l’origine de toute grande fortune, il y a un crime.» Voulant vérifier l’exactitude de la citation, je la tape sur mon moteur de recherche. Avec la page qui confirme le bon état de ma mémoire apparaît une publicité:

«Swiss investissement, rendement 8% ou plus par année. Risque faible. 100% libre d’impôt.»

Ben voilà.

L’amoralité est devenue la norme, elle s’affiche publiquement, sans vergogne.

Nous nous sommes laissé dépouiller de nos espoirs, nous avons cessé de nous considérer comme des camarades, nous voilà réduits au statut de clients, de consommateurs.

Et Warren Buffett, l’un des hommes les plus riches du monde, peut affirmer haut et fort: «La lutte des classe existe, nous l’avons gagnée.»

Mais gare à la revanche?…

www.michelbuhler.com

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lundi 8 janvier 2018

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