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Certains états d’esprit tuent autant que les bombes

Miguel D. Norambuena fustige l’égocentrisme et l’hyper-individualisme qui gangrènent les sociétés occidentales modernes.
Société

Depuis toujours et peu importe les raisons de l’affront, nous nous retrouvons soit du côté des gagnants, soit du côté des perdants. L’analyse pourrait s’arrêter là. Toutefois, la condition humaine ne peut se résumer à cette seule vérité. En effet, elle dépend aussi, et même surtout, de la répartition sociale des richesses matérielles produites par l’homme. Que dire des personnes qui vivent parfois sans eau potable, malades, que ce soit au Kenya, dans les déserts d’Alep ou d’Atacama, dans les favelas de Rio de Janeiro ou dans les banlieues pauvres de Marseille? Ces mêmes personnes qui regardent grâce aux écrans numériques de leurs téléphones portables les images des modes de vie des nantis.

Depuis le temps que nous voyageons, nous aurions pu nous rendre compte de l’écart matériel dans lequel les uns et les autres vivent. Ici, de ce côté du Globe, nous avons l’immense chance de vivre «librement», de pouvoir bénéficier d’une éducation supérieure de qualité, flâner sur les plages et les terrasses, faire la fête, danser dans des boîtes de nuit ou consommer de l’alcool à sa guise.

De par le dévoilement narcissique qui nous accable, ces expériences sociétales se retrouvent rapidement sur la toile. Nous pouvons d’ailleurs rapprocher cette surexposition à la déliquescence exponentielle «des structures et des liens sociaux» (Scott Atran) en cours dans nos sociétés démocratiques mondialisées. Nos sociétés et décideurs politiques, malgré les divers appels à changer de cap, à faire baisser le niveau outrancier de la consommation de masse et à faire bifurquer le réchauffement climatique (Philippe Cury, Daniel Pauly), continuent à faire la sourde oreille face à l’envergure des catastrophes qui frappent déjà à nos portes.

Face aux attentats intégristes djihadistes actuels, nos envolées rhétoriques du style «on fait la fête», «nous n’avons pas peur…», reprises en cacophonie par les médias, sont à la hauteur de la crispation et du «vide social» qui frappent nos sociétés riches. Un état d’esprit hors temps qui ne fait que nous enfoncer davantage dans le déni et l’égocentrisme dans lesquels nous sommes déjà empêtrés. Le temps presse pourtant. Face au désarroi, dû à la perte de sens de l’existence, dans lequel se trouvent maints jeunes de nos villes, attirés par des positions djihadistes, les réponses ne peuvent être que sociétales et globales. Désormais, il ne s’agit plus d’apporter une «aide au développement» univoque et opportuniste. Il s’agit d’ores et déjà, que ce soit pour l’Afrique du nord et du centre ou pour le Moyen-Orient, de créer, grâce aux particularités géographiques de ces régions, des partenariats coopératifs dans les vastes et innovants domaines des énergies renouvelables.

Aujourd’hui, la coopération et le savoir-vivre sur la planète ne peuvent se construire que dans la réciprocité. En Europe, rien n’empêche de créer une myriade de «laboratoires écologiques» entre femmes et hommes venant de pays souffrant de «catastrophes individuelles» (Edgar Morin). Il faudrait unir ces personnes aux élèves de nos Hautes Ecoles de Métiers, afin d’en faire de véritables ambassadeurs de cette nouvelle Europe coopérative en cours. La gentrification, ou le «vivre entre soi», qui se livre sans états d’âme dans nos villes, est le pire ennemi de tout état d’esprit de responsabilité envers nos proches d’ailleurs, qui vivent parfois dans la misère, et que tant de touristes ne remarquent même pas lorsqu’ils voyagent au bout du monde.

C’est un état d’esprit de responsabilité, baigné dans le respect réciproque de l’altérité ainsi que dans un «vivre» engagé et sensible face au sort actuel du monde, dont nous avons le plus besoin actuellement. C’est dans cette optique qu’ensemble, société civile et décideurs, nous devons maintenant nous mettre au travail partout où on se trouve.

* Ancien directeur du centre Racard et fondateur du centre le Dracar, Genève.

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