Diversité en grand danger
«Les Romands sont très attachés à leurs journaux régionaux. On ne peut pas les fermer comme ça, pouf, d’un coup. Ce serait trop violent. Alors on fait ça gentiment, en douceur.» Voila comment le personnage Peter Staub de l’émission humoristique 26 minutes, qualifié de «responsable qualité chez Tamedia», expliquait – sur le ton de la satire – l’annonce de 31 licenciements à la Tribune de Genève et à 24 heures fin septembre 2016. Une boutade qui sonne, presque un an plus tard, toujours plus prophétique.
Mardi, le géant zurichois de la presse et d’internet communiquait en effet sa décision de fusionner les rédactions du Matin et de 20 minutes, avec six licenciements à la clé. Mais en conservant les deux «marques» distinctes, soit les titres. Mercredi, c’est le regroupement d’une partie des rédactions du Matin Dimanche, de la Tribune de Genève et de 24 heures qui était décrété.
Là aussi, chaque journal conservera son nom. Ils seront cependant dirigés par une seule personne, la rédactrice en chef du Matin Dimanche, Ariane Dayer, bien que chaque quotidien aura officiellement une rédaction en chef «propre», qui prendra «les décisions en matière de commentaires» et produira «des contenus locaux, régionaux et spécifiques aux marques».
La recette, qui est également appliquée aux titres alémaniques du groupe, est d’autant plus inquiétante quand on se souvient que le regroupement des rédactions du Temps et de L’Hebdo – appartenant à Ringier Axel Springer – s’est conclu en février par la disparition de l’hebdomadaire et par 39 licenciements.
Bref, on assiste bien à un nouveau pas de géant dans la concentration de la presse en Suisse. Et particulièrement en Romandie. Et, par conséquent, à un affaiblissement de la diversité et de la qualité de l’information. Ceci au nom du dieu rendement.
Car, comme le rappelle Syndicom, Tamedia est un groupe fructueux: «Ces dix dernières années, 424 millions de francs ont été redistribués aux actionnaires et 100 millions de francs à la direction de l’entreprise.» Mais ce n’est pas assez pour les dirigeants zurichois, qui ne se sentent visiblement pas concernés par leur responsabilité d’éditeur envers les citoyens-lecteurs. La diversité de la presse est pourtant une nécessité absolue dans une démocratie semi-directe. En l’affaiblissant, c’est le système politique et les droits de chacun qui sont fragilisés.
La situation actuelle illustre le danger d’avoir des médias de plus en plus souvent détenus par de grands groupes qui ne visent que le profit. Les difficultés économiques – réelles – de nombreux journaux remettent aussi sur la table le besoin d’un certain soutien public aux médias. Mais du coup, pas à n’importe lesquels. Car si la diversité des informations et des opinions – et leur large diffusion – doivent être préservés, il n’est pas non plus question de subventionner des entreprises peu transparentes qui vampirisent leurs rédactions et ne pensent qu’aux dividendes de leurs actionnaires. Ainsi, le grand débat qui doit absolument avoir lieu sur l’avenir des médias ne peut faire l’économie d’une profonde discussion sur le modèle, tant économique que démocratique, des éditeurs de journaux. I