Chroniques

Une envie de ville heureuse

Chronique de résistance

Il y a vingt ans exactement, à la même saison, Lausanne vivait un été éblouissant à la faveur de l’opération «Jardins urbains 97» que Le Courrier a couvert abondamment!

Il s’agissait d’embellir la ville en mettant en relation le «gris» de l’urbain et le «vert» de la nature, le minéral et le végétal, le construit et le folâtre. Précédé par un intense processus de concours international, l’objectif était de réaliser 36 nouveaux jardins, éphémères ou durables, dans des endroits particuliers, certains très insolites, connus ou inconnus, de la capitale vaudoise.

Pour ce faire, une commissaire d’exposition à la vivacité exemplaire et au regard perçant, Lorette Coen, a été désignée et une association a été constituée, «Jardin urbain», présidée par Pierre Starobinski, Staro pour les intimes, à l’enthousiasme communicatif et inépuisable. L’appui décisif est venu de la syndique d’alors, Yvette Jaggi, qui a demandé, et obtenu, un crédit d’investissement d’un million de francs du Conseil communal. A son habitude, la droite, étriquée et mercantile, essaya de s’opposer en demandant ce que l’opération allait rapporter, mais la patronne de la Ville a tout emporté par sa profonde conviction et sa large vision de ce qu’est une ville et son évolution. Appuyé par la majorité de gauche du législatif lausannois, le projet fut accepté, Staro faisant de son côté de la recherche de fonds pour doubler le montant.

Lorette Coen, entourée d’une fine équipe, a ainsi pu mettre en route les diverses étapes de cette «exposition» peu ordinaire. On ne peut en citer tous les membres, mais parlons quand même de Rosmarie Lippuner, directrice à l’époque de l’alors Musée des arts décoratifs, de Klaus Holzhausen, architecte-paysagiste et alors chef-adjoint du Service des parcs et promenades, de Pascal Amphoux, architecte et géographe, d’Yves Lavachanne, architecte-paysagiste aux Parcs et promenades, de Nathalie Noverraz, la «petite main» toujours disponible et efficace, toute l’opération étant couverte par Luc Chessex, un grand photographe à l’humilité proverbiale!

C’est ainsi qu’à l’orée de l’été 1997, Lausanne s’est enrichie de ces 36 nouveaux jardins dont certains existent toujours. Aux multiples intervenants retenus à l’issue des concours se sont ajoutés les jardiniers de la Ville qui ont pris la place centrale de «fabricants de beauté et de lenteur» qu’ils sont à l’année, eux-mêmes créant dans le cadre de l’opération plusieurs jardins. «Lausanne jardins 97» a eu un succès considérable, des milliers de Lausannois redécouvrant leur ville aux côtés des dizaines de milliers de visiteurs venant du monde entier, sans parler de la couverture médiatique phénoménale tant de la presse spécialisée que grand public.

D’accès entièrement gratuit, la visite des jardins a ouvert bien des gens à la poésie, à la promenade bucolique, à l’utopie d’une ville réconciliée et généreuse, fraternelle et tendre. Cet aspect «politique» – au sens grec du mot – a si bien été compris qu’un 37e jardin a été créé par le mouvement des «ex-saisonniers ex-Yougoslaves» en lutte cette année-là pour leur régularisation qu’ils ont d’ailleurs obtenue. Yvette Jaggi a parfaitement compris la démarche et elle venue inaugurer ce jardin contestataire fait de légumes et de fleurs qui revendiquait le «permis B» auquel ces travailleurs agricoles et horticoles avaient légitimement droit!

De l’opération ont découlé un livre de textes et de photos dont le titre, Une envie de ville heureuse1 value="1">Une envie de ville heureuse, Lorette Coen, Luc Chessex, Editions du Péribole, Ecole nationale supérieure du paysage de Versailles, 1998., a donné l’intitulé de cette chronique et la diffusion en Suisse du projet de «Jardin en mouvement», cher à Gilles Clément, paysagiste, philosophe et écrivain, qui a été un des concepteurs des jardins urbains de 1997. Gilles Clément qui a dit, dans sa grande sagesse humaine, «pour faire un jardin, il faut un morceau de terre et l’éternité».

Notes[+]

Opinions Chroniques Bruno Clément

Chronique liée

Chronique de résistance

lundi 8 janvier 2018

Connexion