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L’effet placebo de l’air des montagnes

L’entraînement en altitude promet d’accroître les performances des athlètes. Mais des études récentes ne relèvent aucun effet.
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Avant d’atterrir à Rio de Janeiro en août 2016, la triathlète Nicola Spirig et le cycliste Nino Schurter se sont préparés en altitude. Pendant plusieurs semaines, ils ont vécu au-dessus de Saint-Moritz en s’entraînant chaque jour dans la vallée. Ce séjour avait été agendé de manière à précéder de 14 à 25 jours les compétitions. Il devait améliorer leurs performances lors des Jeux olympiques.

Le physiologiste danois Carsten Lundby est venu en 2010 à l’Université de Zurich pour étudier l’effet de l’entraînement en altitude sur les performances. Selon la littérature scientifique, il augmente la concentration en hémoglobine, la protéine qui transporte l’oxygène dans le sang: afin de compenser la raréfaction de l’air, le corps en produit davantage. De retour à une altitude et à une pression normales, cette surcapacité améliore la performance. Du moins en théorie.

Car Carsten Lundby se convainc après quelques tests que cette méthode n’apporte rien. Lorsque son équipe analyse le sang d’athlètes après un entraînement en altitude, elle ne constate aucune différence. Son hypothèse: les sportifs ont déjà un tel taux d’hémoglobine que le séjour sur les hauteurs ne change rien.

Il veut toutefois approfondir la question. «Nous avons organisé la première étude menée comme pour les médicaments: en double aveugle et contrôlée (comparée avec des placebos, ndlr)», explique le chercheur. La moitié des participants dorment dans des chambres à la concentration en oxygène réduite, l’équivalent d’une altitude de 3000 mètres, l’autre moitié dans un air normal. Les athlètes ne savent pas plus que les chercheurs à quel groupe ils appartiennent.

Au total, il mène six études contrôlées avec des groupes de 15 à 19 cyclistes ou skieurs de fond. Sa conclusion: «Rien d’autre qu’un effet placebo. Nous n’avons constaté aucune différence quand les athlètes ne connaissaient pas leur groupe.» La procédure n’est efficace qu’à des altitudes irréalistes. Dans un article qui passe en revue les études publiées dans la littérature spécialisée, Carsten Lundby, maintenant professeur à Copenhague, conseille aux sportifs d’élites de renoncer à cette forme d’entraînement onéreuse.

Mais ses conclusions ne font pas l’unanimité. Jon Wehrlin, un spécialiste de la physiologie de l’endurance à la Haute école fédérale de sport de Macolin (BE), relativise: «De nombreuses études prises en considération dans l’article de Lundby présentent des erreurs méthodologiques.» Certaines n’ont pas attendu la bonne fenêtre temporelle et d’autres ont simulé une altitude insuffisante. Pas étonnant de ne pas avoir observé d’amélioration. Sa longue expérience lui a appris «que les effets positifs diffèrent selon les athlètes». De plus, il n’est pas possible de leur cacher le groupe d’étude – pression réduite ou contrôle – auquel ils appartiennent. Pour lui, «il est clair depuis quinze ans que l’entraînement en altitude peut avoir des effets positifs dans le sport d’endurance».

Selon Grégoire Millet, professeur de physiologie à l’Université de Lausanne, l’entraînement en altitude est susceptible d’améliorer les performances de 3% dans le meilleur des cas. En 2012, il avait publié – avec Carsten Lundby – un tour d’horizon de la littérature spécialisée et formulé des normes pour des études plus sérieuses.

Leurs chemins ont ensuite divergé. Grégoire Millet a développé le «repeated sprint training» où un apport réduit d’oxygène doit permettre de repousser le début de la fatigue musculaire lors d’un effort maximal. Il a montré dans plusieurs études que cette méthode améliore l’irrigation sanguine des muscles. La littérature scientifique soutient également l’entraînement en altitude pour d’autres variantes: «Plus de 70 articles ont paru depuis 1997 sur la variante la plus populaire, ‘live high, train low’, et deux seulement mentionnent un effet placebo.»

Un troisième auteur du bilan de 2012, Peter Bärsch, ne prend pas parti. L’ancien directeur du département de médecine du sport de l’Université d’Heidelberg souligne la qualité des études menées par Carsten Lundby. Sa conclusion: «Je recommanderais toujours aux athlètes un entraînement ‘live high, train low’, bien que l’on ne sache pas vraiment si son efficacité repose sur la psychologie ou la physiologie.»

* Rédacteur scientifique au FNS. Paru dans Horizons n°113, juin 2017, FNS, www.snf.ch/fr/

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