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La Cour reconnaît le droit de se refuser à une saisie d’ADN

Chronique des droits humains

Une cinquantaine d’années ont passé depuis l’attribution du Prix Nobel au Dr James Dewey Watson pour ses découvertes sur l’ADN. En raison de ses déclarations sur l’infériorité de l’intelligence des Noirs et sur la reconnaissance d’un droit d’avorter aux femmes dont l’enfant serait porteur du «gène de l’homosexualité», l’expert a été contraint à la retraite anticipée. Ses découvertes ont en revanche obtenu une reconnaissance internationale et le fichage génétique s’est généralisé. Instauré en 2000, les dernières données relatives au fichier national des ­profils ADN (2014) font état d’au moins 165 000 profils répertoriés par les ­autorités fédérales. Un chiffre en constante augmentation.

Une pratique en contradiction avec les garanties internationales en matière des droits de l’homme, tel que le confirme un arrêt récent relatif à une affaire opposant l’Etat français à l’agriculteur basque Jean-Michel Aycaguer. Ce dernier avait été placé en garde à vue à la suite d’une bousculade intervenue entre des manifestants d’un syndicat agricole et la gendarmerie, en marge d’un meeting syndical. Condamné à deux mois d’emprisonnement avec sursis pour avoir porté des coups de parapluie à des gendarmes, le requérant ne fit pas appel. Une fois la décision entrée en force, M. Aycaguer fut convoqué par le Parquet pour une prise d’ADN. Son refus d’obtempérer lui valut une amende de 500 euros, contre laquelle il fit cette fois appel, en invoquant une atteinte disproportionnée à sa vie privée.

Dans un arrêt rendu le 22 juin 2017, la Cour européenne des droits de l’homme a initialement rappelé que toute mémorisation de données personnelles, de même que toute sanction prononcée en raison de l’opposition à une telle mesure, constituent des ingérences dans le droit à la vie privée, garanti par l’art. 8 de la Convention. Les juges de Strasbourg ont ensuite critiqué le caractère lacunaire du droit français, qui prévoit que les données de personnes condamnées sont conservées «pour une durée maximale de quarante ans», indépendamment de la gravité de l’infraction commise, ainsi que l’impossibilité pour les personnes condamnées de demander l’effacement de leurs données. La Cour a également souligné l’obligation de l’Etat d’exercer une retenue particulière s’agissant de la saisie de données personnelles en lien avec des agissements qui s’inscrivent «dans un contexte politique et syndical», cela alors même que la personne concernée aurait porté des coups à des agents. Les juges concluent enfin en constatant la violation de l’art. 8 CEDH, ce qui imposera à l’Etat de modifier sa législation et sa pratique. L’arrêt valide enfin l’exercice d’un droit de tout justiciable à s’opposer à des pratiques de fichages arbitraires: non seulement à aucun moment la Cour ne reproche à M. Aycaguer son refus d’obtempérer aux demandes de fournir ses données génétiques, mais en outre condamne la France à indemniser ce dernier pour ses frais de défense et à lui verser une indemnité pour tort moral de 3000 euros.

Une fois entrée en force, la décision de la Cour aura un impact au-delà des frontières françaises et notamment à Genève. Là même où, depuis deux ans, une brigade de police s’est faite une spécialité dans le fichage des personnes appréhendées au sein ou en marge des manifestations par la prise quasi systématique de l’ADN. Une pratique contraire au droit suisse, qui interdit la saisie de données génétiques pour les simples contraventions, et dont l’illicéité est désormais reconnue par le droit international.

En conclusion, si les recherches d’un professeur raciste et homophobe ont offert aux autorités pénales les outils pour pratiquer le fichage de masse, la persévérance d’un agriculteur des Pyrénées permet de rappeler quelques principes permettant de s’opposer à cette pratique. Premièrement, il n’y a aucune obligation de donner suite à la demande des autorités pénales portant sur une prise d’ADN. Deuxièmement, toute décision en lien avec une prise de données génétiques peut faire l’objet d’un recours. Troisièmement enfin, les personnes fichées ont le droit de demander l’effacement de leurs données et de faire ainsi vérifier, même a posteriori, la proportionnalité de la saisie, avec de grandes chances d’obtenir une décision favorable lorsque la cette dernière est en lien avec des faits de nature politique. Alors que la Cour reconnaît le droit de désobéir aux saisies d’ADN, il paraît d’autant plus raisonnable de serrer les dents face au coton-tige.

Opinions Chroniques Olivier Peter

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