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Les réfugiés stimulent notre compétitivité!

Aujourd’hui, 20 juin, on célèbre la Journée mondiale des réfugiés. L’occasion pour Amnesty International de dresser le tableau de leur sort.
Asile

On rappellera qu’il n’y a jamais eu autant de réfugiés depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, soit plus de 21 millions. Que l’Europe rend ses frontières étanches pendant qu’en Méditerranée, les personnes en fuite se noient par milliers. On soulignera que le Vieux-Continent accueille la part congrue, la majorité des personnes en fuite demeurant dans les pays pauvres en bordure des zones de crises. Seuls dix pays, qui représentent moins de 2,5% du PIB mondial, accueillent 56% des réfugiés de la planète. La Jordanie (2,7 millions de personnes), la Turquie (2,5 millions), le Pakistan (1,6 million) et le Liban (1,5 million), tous limitrophes, à l’exception du Pakistan, d’une Syrie dévastée par la guerre, figurent en tête de liste.

L’occasion aussi de rappeler les manquements les plus grossiers de nos Etats envers ces personnes qui fuient conflits et persécutions. L’Europe qui investit des sommes folles dans la fermeture de ses frontières extérieures. Les Etats membres de l’Union européenne (UE) ont construit plus de 235 kilomètres de clôtures aux frontières extérieures, pour plus de 175 millions d’euros! Cette même Europe qui négocie des accords migratoires avec des pays comme la Turquie, assortissant aide financière et concessions politiques à la réadmission et au renvoi de réfugiés. Ce type de marchandage est honteux tant parce qu’il considère comme sûrs pour les réfugiés des pays qui ne le sont absolument pas, que parce qu’il incite les dirigeants européens à fermer les yeux sur les violations et les exactions qui s’y commettent par ailleurs.

Mais encore, la Hongrie qui parque les réfugiés arrivant sur son territoire, y compris des enfants, dans des zones de transit – c’est-à-dire des conteneurs entourés de barbelés – en vue de les renvoyer. Le déficit de solidarité européenne envers les pays situés aux frontières extérieures de l’Europe, notamment l’Italie et la Grèce, qui doivent gérer l’accueil de milliers de réfugié-e-s et ne sont plus en mesure d’accorder des conditions décentes aux personnes en quête de protection.

Et pour regarder plus près de chez nous, la Suisse qui applique scrupuleusement le règlement Dublin – lequel confère au pays de première entrée en Europe la responsabilité de traiter la demande d’un requérant d’asile – pour renvoyer des demandeurs d’asile et contenir les statistiques en ce domaine. Au détriment de liens familiaux, de raisons humanitaires, contrevenant même au droit international. Amnesty International et d’autres organisations de défense des réfugiés et des migrants ont d’ailleurs lancé un appel national pour assouplir les conditions d’application de ce règlement Dublin.

Mais dans le fond, ne vaudrait-il pas mieux réfléchir aux raisons de notre réticence à les accueillir, ces réfugiés? Aurions-nous peur de leur compétitivité et de leur créativité dans les chemins qu’ils ou elles dessinent pour s’intégrer et réaliser souvent, l’espace de deux générations, une remarquable ascension sociale? Derrière l’impossibilité prétendue d’en accueillir plus que tant, ne se cache-t-il pas, chez certains d’entre nous, la crainte d’avoir moins? Moins de richesse, moins de travail, moins de logements, une école de moindre qualité pour nos enfants? Or si nous y réfléchissons bien, les enjeux liés à l’accueil et à l’intégration des réfugiés nous poussent justement à améliorer les mécanismes d’inclusion des plus vulnérables d’entre nous, à améliorer nos politiques scolaires, urbaines, sociales et la gestion de nos collectivités. Bref, l’accueil des réfugiés stimule notre compétitivité!

Ne faut-il pas réfléchir, enfin, à l’indécente richesse dans laquelle beaucoup d’entre nous se vautrent encore et toujours dans nos contrées? Dans son premier roman, 39 rue de Berne, Max Lobe, écrivain camerounais qui vit en Suisse et enrichit magistralement notre littérature, fait surgir le monstre de Genévroïna. Une sirène à la gueule béante qui engloutit tous les cadavres flottant dans les eaux après qu’un immense déluge a recouvert toutes les richesses de cette Genève «qui a oublié d’aider ses enfants pauvres»! Une image féconde pour dire à quel point notre opulence demande à être partagée bien davantage.

* Porte-parole d’Amnesty International Suisse.

Opinions Agora Nadia Boehlen Asile

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